"La rhétorique protectionniste est inquiétante"

Le président de la Deutsche Bundesbank, Jens Weidmann, s’est montré critique face aux signaux émis par le nouveau gouvernement américain en matière de politique économique. "Le reproche que l’Allemagne exploite les États-Unis et d’autres pays au moyen d’une monnaie sous-évaluée est plus qu’absurde", a déclaré M. Weidmann devant plus de 2.000 auditeurs à l’occasion de la réception annuelle des petites et moyennes entreprises à Mayence.

Jens Weidmann lors de son discours ©IHK Rheinhessen/ A. Sell
Jens Weidmann lors de son discours
La forte position concurrentielle de l’économie allemande n’est pas le résultat de manipulations politiques des taux de change, a-t-il indiqué. "Les entreprises allemandes sont surtout concurrentielles parce qu’elles sont parfaitement positionnées sur les marchés mondiaux et qu’elles convainquent avec des produits innovants", a expliqué M. Weidmann. Certes, la valeur externe de l’euro est également un facteur, a déclaré M. Weidmann, en renvoyant au fait que celle-ci était diminuée par la politique monétaire accommodante, qui est contestée en Allemagne. "La politique monétaire unique ne s’oriente pas sur la situation économique particulièrement favorable de l’Allemagne, mais doit se baser sur la moyenne plus faible de la zone euro", a déclaré le président de la Bundesbank.

Une nouvelle insécurité

M. Weidmann s’est prononcé de manière critique en ce qui concerne la politique du nouveau gouvernement américain. "À mon avis, la rhétorique protectionniste que l’on entend de la nouvelle administration américaine est très inquiétante, d’autant plus que l’Allemagne entre de plus en plus dans le collimateur du gouvernement américain." La conception et les conséquences possibles de la future politique économique américaine créent, selon lui, de nouvelles insécurités. Certes, les réactions des bourses ont jusqu'à présent été positives. Mais les dommages économiques associés à des barrières commerciales qui pourraient être établies et à une politique économique de plus en plus interventionniste ont été largement exclus, a déclaré M. Weidmann. "Pourtant, des marchés ouverts et une organisation économique concurrentielle constituent la base de notre prospérité", a-t-il poursuivi. Il a également attiré l’attention sur les investissements directs allemands aux États-Unis, qui s’élèvent à environ 270 milliards d’euros, répartis sur 4.700 entreprises américaines avec plus de 800.000 salariés. "Cela me semble être, pour employer un anglicisme, une situation win-win", a déclaré M. Weidmann.

Le président de la Bundesbank a également exprimé son point de vue sur les critiques formulées à l’encontre des excédents de la balance courante allemande. En raison du changement démographique qui se dessine, ces excédents lui paraissent tout à fait justifiés, les Allemands constituant ainsi entre autres une prévoyance-vieillesse. L’excédent actuel de plus de 8 pour cent de la performance économique ne peut toutefois pas être expliqué uniquement par la démographie. Le faible prix du pétrole, qui a réduit la facture des importations, explique selon lui une partie de l’important excédent.

Renforcer la responsabilité propre, ne plus avancer à puissance maximale en matière de politique monétaire

Dans son discours, le président de la Bundesbank a également rappelé le 25ème anniversaire du traité de Maastricht, qui a créé le cadre de l’Union monétaire européenne et défini des accords essentiels, tels que des finances publiques solides, une interdiction aux banques centrales de financer les États ainsi qu’une clause de non-responsabilité réciproque des États membres. Or, ces accords n’ont pas pu empêcher la crise des dettes souveraines intervenue dans la zone monétaire européenne, a-t-il expliqué. Selon lui, ce n’est qu’à l’aide du Mécanisme européen de stabilité et des mesures prises par l’Eurosystème qu’une escalade a pu être évitée. Mais ces mesures ont aussi rompu l'équilibre entre action et responsabilité. "Si nous voulons maintenir l’Union monétaire en tant qu’Union de la stabilité, nous devons renforcer le principe de la responsabilité propre de chacun des pays", a déclaré M. Weidmann.

Le président de la Bundesbank a par ailleurs souligné son scepticisme vis-à-vis de la politique monétaire ultra-accommodante menée actuellement par l’Eurosystème, en ajoutant que celle-ci ne pouvait pas résoudre les problèmes plus profonds en Europe et qu’il fallait y mettre fin dès que l’objectif de la stabilité des prix le permettait. Il a ainsi fait observer que le taux d’inflation tant en Allemagne que dans la zone euro était dernièrement reparti à la hausse. Selon les prévisions de l’Eurosystème, le taux de croissance des prix doit à nouveau progressivement augmenter et atteindre durablement, en 2019, la zone cible inférieure à, mais proche de 2 pour cent. "L’évolution actuelle des prix montre clairement, de mon point de vue, que nous sommes entre-temps très loin d’une déflation, donc une spirale de baisse des salaires et des prix, que certains avaient prévue et utilisée pour justifier l’achat de titres d’emprunt d’États", a déclaré M. Weidmann. Dans ce contexte, une politique monétaire expansive est certes appropriée. "Mais on peut bien être d’un avis différent en ce qui concerne la question de savoir si nous devrions encore et toujours avancer à puissance maximale en matière politique monétaire, ou si nous ne devrions pas réduire la vitesse en matière de politique monétaire", a-t-il poursuivi. En effet, les achats importants réalisés dans le cadre du programme actuel de l’Eurosystème ont, selon lui, transformé les banques centrales en principaux créanciers des États membres. "De ce fait, la politique monétaire est profondément entrée dans la sphère de la politique financière, à mon avis trop profondément", a déclaré le président de la Bundesbank.