Rapport mensuel : Doutes quant à l’efficacité des obligations CoCo

Après la crise financière des années 2007 et 2008, un des objectifs majeurs des autorités de réglementation et de surveillance était de renforcer la base de fonds propres des banques afin de les rendre plus résilientes face aux crises. Dans ce contexte, il a été discuté de la possibilité d’avoir recours à des obligations contingentes convertibles (dites obligations CoCo). Les obligations CoCo sont des emprunts subordonnés avec paiement de coupons qui, dans des cas particuliers définis par contrat, sont soit convertis en fonds propres de composante dure soit amortis.

Les obligations CoCo constituent une forme de financement dite hybride : elles combinent les avantages typiques du financement par l’emprunt, comme des intérêts fixes, avec la capacité d’absorption de pertes des fonds propres. Cela signifie que cette forme de financement doit, le cas échéant, être en mesure d’absorber des pertes pour permettre à la banque de poursuivre ses activités. Sous certaines conditions, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire accepte donc les obligations CoCo en tant que fonds propres réglementaires. De plus, depuis 2014, les paiements de coupons sont déductibles fiscalement en Allemagne. Selon les informations des services spécialisés du secteur, au moins 285 obligations CoCo d’un volume total de 193 milliards d’euros ont été émises dans l’Union européenne au cours de la période de 2009 à fin 2017.

Doutes quant à la capacité d’absorption de pertes et haute complexité

Dans le récent Rapport mensuel, les experts de la Bundesbank analysent les propriétés de ces titres. Ils se montrent sceptiques quant à la question de savoir si dans la pratique les obligations CoCo présentent vraiment les avantages qu’on leur attribue : « La conception réelle des obligations CoCo fait apparaître des doutes quant à leur efficacité en tant qu’instrument d’absorption de pertes pour les activités courantes des banques ». Dans ce contexte, ils se sont penchés entre autres sur les événements contractuels qui déclenchent la conversion des titres en fonds propres ou leur amortissement. Dans la pratique ont été émises dans l’UE surtout des obligations CoCo dont la conversion est liée à une valeur seuil des fonds propres durs (dite ratio de fonds propres CET1). Dans plus de 40 pour cent des obligations émises dans l’UE ce ratio s’élève à 5,125 pour cent du ratio minimum défini par la loi en ce qui concerne l’éligibilité en tant que fonds propres durs complémentaires. La conversion des obligations intervient donc précisément au moment où le ratio des fonds propres durs de l’institut émetteur descend sous cette valeur par rapport à ses positions à risque. Les experts de la Bundesbank ont émis des doutes quant à la question de savoir si une valeur seuil de 5,125 pour cent était suffisante pour que les obligations CoCo puissent réellement remplir leur rôle. Selon eux, il convient d’examiner « dans quelle mesure la valeur seuil mécanique CET1 doit être augmentée pour garantir l’effet réglementaire voulu des obligations CoCo en tant qu’instrument d’absorption de pertes pour les activités courantes des banques », peut-on lire dans le Rapport mensuel. 

Les auteurs ont par ailleurs constaté qu’en raison de leur complexité, les obligations CoCo ne sont pas appropriées pour tous les investisseurs et ont renvoyé à une mise en garde que l'Office fédéral allemand de surveillance du secteur financier (BaFin) a adressée aux investisseurs privés. Ces obligations s’adresseraient plutôt aux banques et à d’autres investisseurs institutionnels tels que les assurances ou les fonds communs de placement ; toutefois, même les investisseurs institutionnels sembleraient éprouver des difficultés à définir un prix pour les obligations CoCo.

Fausses incitations à prendre davantage de risques

Du point de vue des auteurs, un autre détail de la conception des obligations CoCo doit être vu d’un œil sceptique : dans le cas de titres avec une conversion en fonds propres durs se produit un déplacement plus ou moins fort des droits de contrôle et de la participation aux bénéfices et pertes (« dilution ») des bailleurs de fonds propres initiaux vers les détenteurs d’obligations. Des études empiriques seraient toutefois parvenues à la conclusion que dans la pratique on constate presque uniquement une légère dilution des droits des bailleurs de fonds propres initiaux. La conception actuelle pourrait donc entraîner des fausses incitations vers une prise de risques accrue par les banques. « Du point de vue réglementaire, il serait approprié de rechercher une forte dilution et ainsi créer des incitations pour les détenteurs initiaux à garantir une prévention durable  des risques», écrivent les auteurs.

Ils ont par ailleurs attiré l’attention sur d’autres risques interbancaires liés aux obligations CoCo, principalement en raison de l’interconnexion des banques ainsi que l’interdépendance entre les établissements de crédit et les investisseurs institutionnels qui pourraient encore s’approfondir en raison des obligations CoCo. De plus, des « effets de contagion basés sur des informations » seraient également possibles : ainsi, un événement déclencheur auprès d’une banque pourrait avoir un effet de signal négatif sur d’autres banques et au-delà.

Dans l’ensemble, les auteurs se demandent quels seraient les avantages de telles obligations par rapport aux fonds propres durs. Il existerait ainsi par exemple des doutes quant à l’avantage de coût supposé par rapport au capital CET1 si l’on tenait compte de la haute complexité et des risques qui y étaient liés. D’une manière générale et du point de vue de la réglementation, les obligations CoCo seraient principalement utiles en raison de leur capacité d’absorption précoce de pertes. Or cette capacité ne serait pas garantie dans la mise en œuvre actuelle, peut-on lire dans le Rapport mensuel. Même en cas de meilleure conception, le problème de la complexité et des effets secondaires possibles subsisterait, raison pour laquelle les auteurs constatent qu’il n’y a pas lieu actuellement que la réglementation crée une incitation à avoir recours à ce type d’obligations. « En fait, une concentration sur le capital CET1 devrait à long terme constituer l’approche plus appropriée pour garantir et améliorer la stabilité des banques ».