À la croisée des chemins - la zone euro entre souveraineté et solidarité Sciences Po

1 Introduction

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais vous remercier de m’avoir invité à être parmi vous aujourd’hui. C’est un grand plaisir et un privilège de pouvoir m’adresser à vous devant cette audience internationale.

Encore plus que ma génération, vous vivez une vie véritablement  européenne. Vous poursuivez vos études dans une perspective internationale et selon toute vraisemblance, vous avez effectué ou effectuerez une partie de vos études à l’étranger. Certains parmi vous les ont débutées sur le Campus européen franco-allemand à Nancy. Et vous êtes la première génération à avoir grandi avec notre monnaie commune.  

L’Europe est non seulement quelque chose de normal pour vous. Votre perspective en ce qui concerne les affaires européennes est inestimable également en raison du fait que l’Europe ne représente pas votre héritage - elle est votre avenir.

Pour rendre à César ce qui appartient à César, l’héritage européen dont vous êtes gratifiés a été largement conçu par les efforts entrepris par des visionnaires français.  Dès 1949, l’économiste Jacques Rueff a déclaré que « l’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas. » En 1962, un membre de la Commission européenne a pour la première fois élaboré un mémorandum pour une monnaie commune - son nom était Robert Marjolin. En 1969, la Commission a soumis une seconde proposition visant à introduire une union monétaire, proposition qui a donné naissance au système de taux de change connu sous le nom de « serpent » – dans ce cas, le commissaire européen en question était Raymond Barre, un diplômé de Sciences Po. Et le plan qui a finalement servi de base à notre Union économique et monétaire a été élaboré par un comité formé par des gouverneurs de banques centrales nationales, mais présidé par celui qui fut alors le président de la Commission : Jacques Delors.

L’euro a toujours été un projet politique destiné à encore davantage resserrer les liens entre les nations d’Europe. Mais bien entendu, ce n’était pas uniquement un projet politique - c’était aussi une promesse de prospérité.  Au cours des dernières années, cette promesse s’est avérée inaccessible pour de nombreux citoyens de la zone euro. Par conséquent, certains d’entre eux perçoivent les exigences liées à notre monnaie commune non pas comme une ancre de stabilité, mais comme un véritable carcan.

Les mécanismes de sauvetage mis en place ont permis d’éviter que la crise dans la zone euro ne s’aggrave encore davantage. Mais pour y parvenir, ils ont mutualisé la responsabilité budgétaire à une échelle substantielle. En revanche, bien qu’il soit vrai que les règles ont été quelque peu renforcées, les politiques budgétaire et économique demeurent essentiellement une prérogative nationale.

Par conséquent, l’équilibre entre responsabilité et contrôle a été détruit. Cette approche a pu être politiquement appropriée à l’époque. Mais depuis la crise grecque de ce printemps, qui est peut-être la manifestation la plus extrême de ce problème, ses limites sont apparues au grand jour. Le fait d’invoquer l’indépendance tout en recevant des aides a soulevé des tensions politiques et une incertitude économique.

Il est indéniable que la combinaison entre souveraineté  nationale et solidarité commune peut poser un risque pour la stabilité de notre union monétaire. Un haut degré de solidarité aide certainement un pays en crise à s’en sortir à court terme. Mais en permettant le transfert d’un fardeau budgétaire national sur les épaules de l’ensemble des États membres, les incitations à mener une politique saine sont affaiblies à long terme.

Le présent problème économique sous-jacent est connu comme la tragédie des biens communs. Prenons l’exemple de la surpêche : tout comme la surpêche par un seul pêcheur réduit et menace à long terme les stocks de poissons disponibles aux autres, une dette publique excessive porte atteinte à l’ensemble de la zone euro. Une augmentation de la dette dans un État membre entraîne une hausse des taux d’intérêt à plus long terme pour tous les pays de la zone euro. Et si la dette excessive d’un pays met en péril la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble, la viabilité du projet tout entier peut être remise en question.

Le problème de la tragédie des biens communs est que pour le pêcheur individuel, il est entièrement logique de pratiquer la surpêche et donc de détruire la base des activités économiques des autres et des générations futures. Donc, nous avons ici une défaillance classique au niveau de la coordination, comparable au dilemme bien connu du prisonnier.

Dans un de ses derniers numéros, The Economist a pris la décision - de prime abord surprenante - d’écrire une nécrologie pour un joueur de baseball. Le joueur en question était l’un des meilleurs joueurs de tous les temps. Mais Yogi Berra a acquis une réputation internationale non seulement pour ses qualités de joueur de baseball, mais encore plus pour ses réflexions philosophiques joviales.

Apparemment, The Economist a estimé qu’elles fournissaient également des enseignements sur les questions économiques. En fait, il a parfaitement résumé le problème de l’inflation : « Un nickel ne vaut plus une dime. »

Toutefois, cela ne semble aujourd’hui pas être le problème le plus urgent de la zone euro.

Mais un autre des enseignements de Yogi Berra va droit au cœur du dilemme dans lequel se trouve l’union monétaire européenne : « Quand vous arrivez à l’embranchement de deux routes, prenez-le. » En effet : après toutes les mesures provisoires et solutions rapides des dernières années, la zone euro est arrivée à la croisée des chemins.

C’est ce qu’ont souligné Emmanuel Macron et Benoît Cœuré lorsqu’ils ont récemment fait pression pour mener le débat nécessaire d’urgence sur l’avenir budgétaire de notre union monétaire.

Si nous voulons parvenir à des progrès durables, nous devons résoudre la tension entre souveraineté et solidarité.

2 L’architecture budgétaire de l’UEM

Afin de pouvoir déterminer les directions que peut prendre la zone euro, nous devons d’abord examiner de plus près le terrain particulier qu’occupe l’union monétaire européenne. Qu’est-ce qui différencie notre union monétaire des autres zones monétaires ?

Je pense que la différence peut être résumée en un seul mot : asymétrie. L’Union économique et monétaire a uni la politique monétaire. Mais, comme je l’ai déjà mentionné, les politiques budgétaires et économiques font toujours partie des compétences nationales, bien que soumises à des règles de coordination.

Comme je l’ai déjà mentionné, cette asymétrie peut donner lieu à de l’instabilité. Si les conséquences d’une politique économique nationale insoutenable peuvent être transférées sur d’autres - par exemple par le biais de renflouements ou d’un bilan commun des banques centrales - les incitations à mener une politique prudente seront amoindries.

Malgré cela, les espoirs étaient grands qu’avec des sûretés suffisantes, une zone euro asymétriquement intégrée pourrait elle aussi s’avérer stable. Comme nous le savons maintenant, cet espoir ne s’est pas réalisé. Les sûretés mises en place pour garantir des finances publiques saines, telles que le Pacte de stabilité et de croissance, la clause de non renflouement ainsi que l’interdiction d’un financement monétaire n’ont pas réussi à limiter la dette publique.

Ce cadre présentait également des faiblesses. Il n’a ni empêché la formation de déséquilibres économiques ni fourni des mécanismes de résolution pour traiter le problème des retombées financières de l’excès de crédit du secteur privé.

La question à laquelle nous sommes confrontés maintenant est la suivante : est-ce que le cadre a échoué parce que le premier projet avait besoin d’être retravaillé ? Ou une union monétaire asymétrique est‑elle fondamentalement irréalisable ?

L’asymétrie ne mène pas automatiquement à l’instabilité. Prenez une chaise : une chaise avec trois pieds ne vacille jamais, mais elle le fait parfois avec quatre. Une chaise avec trois pieds est toujours stable parce que trois est le nombre minimal de points nécessaires pour définir un plan. Lorsque tous les points se situent sur le même plan, la chaise est stable. Si vous ajoutez un autre pied, son extrémité doit elle aussi se situer sur ce plan, autrement l’équilibre est détruit. La question n’est donc pas de savoir si les pieds sont disposés de manière symétrique, mais de savoir si leurs extrémités se situent sur le même plan.

La même chose vaut pour l’union monétaire. Il n’est pas nécessaire que tous les domaines politiques soient intégrés de manière symétrique. Ce qui incombe, c’est que contrôle et responsabilité soient situés sur le même plan. Les incitations pour une politique saine ne sont en place que lorsque le contrôle et la responsabilité sont alignés soit au niveau national soit à l’échelle européenne.

Prenez l’exemple d’une carte de crédit. Si le règlement est prélevé de votre compte et que vous êtes l’unique utilisateur de cette carte, alors c’est vous qui ressentirez les conséquences de vos dépenses. 

De même, si vous partagez une carte de crédit avec des membres de votre famille en utilisant un compte conjoint, tout ira bien également. Mais si vous remettez votre carte de crédit à quelqu’un sans être en mesure de maîtriser les coûts, le bénéficiaire pourrait être incapable de résister à la tentation de dépenser.

C’est la raison pour laquelle les mesures prises jusqu’ici pour contenir la crise ont ébranlé le fragile équilibre entre contrôle et responsabilité.

La question cruciale est la suivante: comment pouvons-nous rétablir cet équilibre ?

2.1 Une union budgétaire

Benoît Cœuré et Emmanuel Macron ont soumis des propositions visant à créer une union budgétaire, c’est-à-dire une prise de décisions centralisée dans le domaine budgétaire, combinée à des transferts budgétaires ou une responsabilité mutuelle sous forme d’euro-obligations.

Une véritable union budgétaire pourrait effectivement rétablir l’équilibre entre contrôle et responsabilité. Si les prises de décisions sont transférées du niveau national à l’échelle européenne, l’incitation des différents États membres à accuser des déficits, qui repose sur la structure actuelle de l’UEM, serait atténuée. Même si cela ne constitue pas en soi une garantie pour une politique budgétaire saine, ce cadre est au moins cohérent avec le concept d’une responsabilité mutuelle.

De quel type de transfert de souveraineté parlons-nous ? L’an dernier, Michel Sapin a déclaré que « la Commission, je le rappelle, n’a absolument pas le pouvoir de rejeter, retoquer ou censurer un budget, comme j’ai pu le lire. Ici, comme ailleurs, la souveraineté appartient au Parlement français. » Or, dans une union budgétaire, cela serait différent. Un État membre devrait donner suite aux demandes d’une autorité budgétaire européenne.

En tant que telle, une autorité budgétaire commune constituerait le plus grand pas vers l’intégration depuis l’introduction de l’euro. Il s’agirait là d’un défi de taille qui entraînerait des modifications des traités et nécessiterait de tenir des référendums. Mais moins qu’un transfert étendu de souveraineté manquerait l’objectif. Cela est vrai indépendamment du fait de savoir si nous nous dirigeons vers un Trésor commun à la zone euro, doté de son propre budget, ou vers un système permettant d’intervenir dans les budgets nationaux.

Au cas où l’Europe reculerait devant les ramifications politiques d’une union budgétaire à part entière, il ne resterait qu’une seule option viable, à savoir une approche décentralisée basée sur la responsabilité individuelle. 

Dans ce cas, les décisions de politique économique et budgétaire demeureraient largement au niveau national. Mais les États membres respectifs devraient également continuer à porter la responsabilité finale.

Ce sont les deux seuls chemins que nous pouvons emprunter à partir de la croisée à laquelle nous nous trouvons actuellement.

2.2 Un cadre de responsabilité individuelle

À quoi pourrait ressembler une approche décentralisée réalisable ?

D’abord et surtout, elle devrait traiter une incohérence flagrante du cadre actuel qui rend le système tel qu’il se présente actuellement impraticable. Alors que le traité de Maastricht interdit les renflouements et le financement monétaire, les dettes souveraines sont néanmoins traitées comme étant sans risque dans le régime de fonds propres des banques.

Je ne peux qu’être d’accord avec Danièle Nouy qui a dit : « Les dettes souveraines ne sont pas des actifs sans risques. Cela s’est avéré et maintenant nous devons donc réagir. »

Les dettes souveraines inscrites dans les comptes des banques doivent être garanties par du capital, comme cela est le cas pour tout débiteur privé. Mais peut-être est-il encore plus important de mettre fin à l’exposition des banques à un seul État.

Les risques souverains sont des risques cumulés, c’est-à-dire des risques tellement importants que la défaillance d’un seul débiteur peut provoquer l’effondrement d’une banque. Pour empêcher qu’une telle situation ne se produise, les banques sont soumises au régime relatif aux grands risques, ce qui signifie qu’elles ne peuvent prêter que jusqu’à 25 pour cent de leur capital propre à un seul débiteur. Cela permet aux banques de disposer de suffisamment de capital même en cas de défaillance du débiteur.

Les dettes souveraines sont toutefois actuellement exemptées du régime relatif aux grands risques. Cela a pour conséquence que les banques détiennent souvent une quantité d’obligations de leur pays d’origine dépassant le total de leur capital propre.

C’est la raison pour laquelle une restructuration de la dette souveraine pose actuellement le risque de faire effondrer le système bancaire du pays en question. Et c’est pourquoi un cadre décentralisé ne peut fonctionner que si le régime relatif aux grands risques est également appliqué aux crédits bancaires accordés aux États. Simplement abolir la pondération zéro des risques ne suffira pas. L’exposition des banques aux dettes de leur État est souvent trop importante.

Le fait de limiter le montant de la dette émise par un État individuel qu’une banque peut détenir ne signifie pas forcément qu’une banque détiendra au total moins de dette souveraine. Elle peut toujours acheter la dette d’autres États, jusqu’à la limite individuelle qui lui est imposée. Mais cela signifie que les banques ne peuvent pour ainsi dire pas placer tous leurs œufs souverains dans un même panier. Et le chemin sera long pour assurer que la restructuration des dettes souveraines ne fera pas effondrer le système bancaire national d’un pays.

Par ailleurs, il n’y a aucun argument économique convaincant pourquoi les banques devraient être en premier lieu les principaux financiers des États. Les relations de longue date des banques avec leurs clients privés leurs permettent de glaner des informations sur des entreprises et des dirigeants. Cette asymétrie d’information positive signifie qu’elles peuvent allouer leur capital de manière plus efficiente que d’autres intermédiaires qui ne disposent pas de ces informations. En agissant ainsi, les banques créent des valeurs pour l’économie dans son ensemble.

Toutefois, les banques n’ont pas de telles informations privilégiées sur les dettes d’un pays, en particulier sur les dettes des gouvernements centraux. Il est logique que les banques détiennent un certain montant de dettes souveraines à des fins de liquidités. Mais il n’y a pas de raison pourquoi le financement d’États ne devrait pas intervenir davantage par le biais des marchés financiers.

L’abolition des privilèges réglementaires pour les dettes souveraines forcerait les marchés à prendre davantage en compte les profils de risque différents des États. Pour les pays qui mènent une politique non viable, cela entraînerait une hausse des primes de risque. Et finalement, cela permettrait également de restructurer les dettes souveraines sans faire effondrer le système financier.     

Des changements sont toutefois nécessaires non seulement en ce qui concerne la réglementation des fonds propres en matière d’obligations souveraines. Dans un cadre de responsabilité individuelle, nous devons faire en sorte que la responsabilité incombe à ceux qui ont assumé les risques en premier lieu.

Actuellement, un État membre qui est dépourvu de son accès au marché peut demander une aide par le biais du programme de sauvetage MSE qui combine une assistance financière à des réformes économiques.

Si tout se passe comme prévu, les déficits sont réduits, la capacité de croissance est accrue et l’accès aux marchés est rétabli.

Si toutefois cela n’est pas le cas et que l’État membre ne regagne pas accès aux marchés, la seule solution pourrait consister en une restructuration partielle de la dette. Mais à ce moment-là, le contribuable européen a déjà payé une partie du chèque, étant donné que les détenteurs d’obligations privés ont été remplacés par le MSE. 

Une option pour remédier à cette situation serait une prorogation automatique de trois ans de l’échéance de toutes les obligations, celle-ci prenant effet à partir du moment où un gouvernement demande une aide par le biais du programme MSE. Cette prorogation automatique de l’échéance permettrait à l’État concerné de résoudre ses problèmes budgétaires tout en évitant que les investisseurs se retirent. Le montant de l’aide financière officielle accordée par le biais du MSE serait considérablement réduit et permettrait de gagner du temps pour déterminer s’il s’agit réellement d’un problème de manque de liquidité temporaire ou d’un problème d’insolvabilité.

Un cadre de responsabilité individuelle requiert non seulement que les créanciers soient capables d’absorber les pertes suite à une restructuration des dettes souveraines, mais aussi qu’elles le fassent effectivement en dernier recours.

2.3 Un conseil budgétaire

Il est évident que le mieux serait que la nécessité de restructurer les dettes souveraines n’intervienne jamais en premier lieu. C’est ici qu’interviennent les règles budgétaires. Avant la crise, la force contraignante des règles budgétaires de la zone euro était -pour parler gentiment - modeste.

Par conséquent, lorsque la crise intervint, de nombreux pays n’avaient qu’une faible marge budgétaire pour contrer son impact. Une des leçons tirées de la crise était de renforcer quelque peu les règles.  Mais en même temps, la Commission s’est vue attribuée davantage de marge concernant l’interprétation des règles. Jusqu’ici, la Commission a amplement fait usage de cette marge supplémentaire, entravant ainsi l’intention initiale de la révision des règles. 

À mon avis, la meilleure solution serait de transférer l’application des règles à un nouveau conseil budgétaire indépendant. Le rapport des cinq présidents sur l’avenir de la zone euro envisage lui aussi un tel conseil, et la Commission a récemment donné suite au rapport et soumis une proposition.

Mais comme la BCE le souligne à juste titre dans son dernier Bulletin économique, la proposition de la Commission compte une série de défauts. La proposition ne prévoit pas que les évaluations du conseil budgétaire soient rendues publiques dans un délai convenable. Il est évidemment trop tard de fermer la cage quand l’oiseau s’est déjà envolé. 

De plus, la Commission a laissé tomber l’approche décrite dans le rapport des cinq présidents qui consiste à se conformer ou à s’expliquer, ce qui aurait voulu dire que la Commission doit se justifier chaque fois qu’elle dévie des recommandations formulées par le conseil budgétaire.

Cela ne présage rien de bon pour l’objectif d’une application plus dépolitisée des règles. C’est la raison pour laquelle un conseil budgétaire doit être réellement indépendant et ses recommandations doivent avoir du poids.

3 L’union bancaire

Mesdames et Messieurs,

Un cadre budgétaire décentralisé viable doit être basé sur le même principe que celui qui a guidé l’approche de la réforme financière : les risques et les bénéfices doivent être réalignés - ceux qui encaissent les bénéfices doivent aussi supporter les pertes.

En ce qui concerne la réforme bancaire, nous avons fait des progrès substantiels. Aujourd’hui, les banques doivent détenir un capital plus élevé et de meilleure qualité et ils ont ainsi davantage d’intérêts propres en jeu. Et même si ces tampons de fonds propres ne devaient pas suffire à couvrir les pertes, le plan consiste désormais à liquider la banque en puisant dans l’argent des propriétaires de la banque et de ses créanciers plutôt que de faire supporter la charge par les contribuables.

Ainsi, l’on soutient des incitations saines pour les propriétaires et dirigeants de banques au lieu que celles-ci soient bridées par des aides gouvernementales. Mais les comptes des banques ne sont pas influencés uniquement par les décisions prises par la banque concernée, mais aussi par des facteurs qui touchent l’ensemble de l’économie, comme par exemple les lois relatives à l’insolvabilité.

Pour cette raison, des mécanismes d’assurance, tels qu’un système de garantie des dépôts, sont établis au niveau qui décide également de ces questions. Autrement, le contrôle et la responsabilité ne seraient pas en équilibre.

Par conséquent, une assurance-dépôts à l’échelle de la zone euro ne semble donc appropriée que si les décisions affectant les comptes des banques sont également transférées au niveau européen. Toute autre solution ébranlerait l’équilibre nécessaire à une union monétaire stable. 

4 Un partage des risques entre secteur public et secteur privé

Les questions relatives au capital propre des banques et à un système commun de garantie des dépôts ne concordent pas uniquement avec celle de savoir comment assurer l’équilibre entre responsabilité et contrôle. Elles fournissent aussi un aperçu sur la manière dont les risques peuvent être partagés le plus efficacement au sein de la zone euro.  

La mise à contribution des créanciers est essentielle non seulement pour réaligner le risque et le bénéfice. Le capital propre et la requalification de dette ("bail-in debt ») servent de tampon en cas de ralentissement économique. En contrepartie, les créanciers versent des primes de risque adéquates sous forme de dividendes et d’intérêts.

Cette forme de partage du risque est non seulement clairement supérieure à une assurance gratuite fournie par le contribuable et qui pourrait encourager à adopter un comportement imprudent. Elle pourrait également servir de modèle pour un partage de risques à l’intérieur de la zone euro en général.

Lorsqu’il est question d’absorber des chocs et de partager des risques au sein d’unions monétaires, des transferts budgétaires viennent immédiatement à l’esprit.

Mais si nous regardons comment les risques sont partagés entre les régions dans d’autres unions monétaires, la dimension budgétaire n’est pas aussi prépondérante que l’on ne croit souvent.

Aux États-Unis, par exemple, des études[1] montrent que la politique budgétaire amortit uniquement 10 % à 20 % d’un choc économique idiosyncratique, ce qui fait qu’une perte de revenus à l’échelle locale ne se traduit pas dans la même mesure par une baisse de la consommation dans cette région.   

Les marchés des capitaux intégrés, notamment les marchés d’actions intégrés, jouent un rôle bien plus important (40 %). Une autre part d’environ 25 % est amortie par les marchés du crédit. Au total, à peu près trois-quarts d’un choc économique aux États-Unis sont absorbés avant que celui-ci n’affecte la consommation. Des études portant sur le Canada donnent des résultats similaires.[2]

La situation est quelque peu différente en Europe, où ce sont principalement les marchés du crédit qui amortissent les chocs économiques, et ce de manière pas particulièrement efficace. Dans l’ensemble, moins de la moitié d’un choc est absorbée avant de toucher la consommation (uniquement 40 %).[3]

De plus, tous les partages de risques à l’échelle du secteur privé ne sont pas créés de manière égale. Dans le cas des actions, le partage des risques se fait sur une base constante au moyen de versements flexibles qui dépendent du bénéfice généré par l’entreprise concernée. Avec les actions, le partage des risques est une fonctionnalité, non un bogue.

En ce qui concerne les dettes, les choses sont différentes. Dans les pays ordinaires, les risques ne sont pas partagés. Lorsqu’une entreprise - ou un pays - se retrouve en difficulté, les risques peuvent toutefois être partagés par le biais d’intérêts non versés ou de décotes.

Lisser les fluctuations de revenus par le biais des marchés de crédit présuppose que le crédit est effectivement disponible en cas de nécessité.

Un phénomène connu sous le nom d’effet d’accélérateur financier peut élargir la disponibilité du crédit en période de haute conjoncture, étant donné que les garanties telles que l’immobilier prennent de la valeur. Mais lorsque la valeur de ces garanties diminue, l’offre de crédit peut se resserrer.

Lorsque le système financier est réellement procyclique, le fait de compter sur les marchés du crédit peut être un choix risqué en cas de baisse de la conjoncture.

Pour cette raison, renforcer les marchés d’actions semble une voie plus prometteuse.

Mais si nous voulons pleinement profiter de marchés d’actions plus profonds, les mesures actuellement sur la table ne suffiront probablement pas. C’est ici qu’entre en jeu la question de l’imposition.

Actuellement, le régime fiscal avantage toujours le financement par l’endettement par rapport au financement par apport de fonds propres. En supprimant ce déséquilibre, les entreprises seraient encouragées à renforcer leur base de capitaux propres et donc de se tourner davantage vers le marché d’actions en tant que source de financement. Il pourrait donc changer la donne en renforçant le partage des risques à l’échelle du secteur privé.  

5 Conclusion

Mesdames et Messieurs, permettez-moi de conclure.

Aujourd’hui, l’Union économique et monétaire ne ressemble pas à d’autres zones monétaires couronnées de succès. Peut-être qu’elle n’atteindra jamais leur degré de symétrie en ce qui concerne l’intégration des politiques. Mais il est possible que certaines trouvailles dans la science de la beauté peuvent nous fournir un peu d’encouragement. Alors que la symétrie apparemment joue un rôle lorsque nous trouvons un visage attractif, des chercheurs ont découvert que cela n’était qu’une partie de l’histoire. Il semblerait que ce sont les petites déviations de la norme, les asymétries mineures, qui rendent un visage vraiment beau.

Mais afin que les citoyens de l’Europe perçoivent l’UEM comme vraiment « belle », le chemin à parcourir est encore long.

Peu importe notre choix final, Yogi Berra nous a rappelé que la chose la plus importante est de vraiment choisir. Mais pour être en mesure de faire un choix, nous devons garder à l’esprit un autre de ses enseignements : « Si vous ne savez pas où aller, vous n’y arriverez peut-être pas. »

C’est pourquoi je me réjouis maintenant de discuter avec vous de la direction que devrait prendre notre union monétaire.

Je vous remercie de votre attention.

Notes de bas de page:

  1. Asdrubali, P.; Sørensen, B. E.; Yosha, O. (1996), Channels of Interstate Risk Sharing: US 1963-1990, Quarterly Journal of Economics, 111(4), 1081-1110.
  2. Balli, F. S.; Kalemli-Ozcan, S.; Sørensen, B. E. (2012), Risk Sharing Through Capital Gains. Dans: Canadian Journal of Economics, vol. 45(2), pages 472-492.
  3. Afonso, A.; Furceri, D. (2007), Business Cycle Synchronization and Insurance Mechanisms in the EU. Working Paper  de la BCE, no. 844, décembre 2007.