Communication des banques centrales, un instrument de politique monétaire Discours prononcé au Centre des recherches économiques européennes

1 Paroles de bienvenue

Monsieur le Professeur,
Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie beaucoup de cette invitation ici au Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung, dans le cadre de la série de manifestations sur le thème de la « Politique économique de première main ».

Les mots de politique économique et main m’ont irrésistiblement fait penser au souhait nostalgique fameux d’Harry Truman d’être entouré de conseilleurs économiques « manchots ». La manière typique des économistes de peser le pour et contre « on the one hand ... on the other hand » tapait apparemment sur les nerfs de l’ancien Président américain.

« Politique économique de première main » a bien sûr, dans votre cas, aussi peu à voir avec des « économistes manchots » qu’avec le commerce de voitures d’occasion où on trouve également la formule « de première main ».

Non, « de première main » a ici plutôt la signification de « en direct des décideurs ». Et ayant entendu ceci, en tant que président de la Bundesbank et membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, je devrais évidemment vous parler de la politique monétaire.

Depuis que j’ai tenu mon premier discours de président de la Bundesbank, il y a aujourd’hui sept ans, nombre d’autres sont venus s’y ajouter. Je ne les ai pas comptés, mais la banque de données des discours publics sur le site Internet de la Bundesbank a répertorié plus de 150 discours.

Non, il n’est pas question de politique monétaire dans tous ces discours, mais dans beaucoup d’entre eux sont traitées aussi ou même en priorité des questions de politique monétaire. Les discours sont devenus, pour les décideurs en politique monétaire, un moyen de communication important : les six membres du directoire de la BCE ont à eux seuls prononcé 150 discours publics l’année dernière. Et les discours ne sont qu’un des moyens de communication. D’autres canaux de diffusion de la communication des banques centrales sont les rapports qui sont régulièrement publiés, des interviews et des conférences de presse.

Notamment les déclarations du président de la BCE en introduction aux conférences de presse qui font suite aux réunions de politique monétaire du conseil des gouverneurs de la BCE attirent beaucoup d’attention. Ceux qu’on appelle « ECB Watcher » étudient chaque mot. Des modifications touchant la communication sont enregistrées avec une grande attention et interprétées. Et non seulement le dit, mais aussi le non-dit peut contenir des messages.

« On ne peut pas ne pas communiquer ». Cette phrase bien connue de Paul Watzlawick, expert en communication, s’applique en ce sens à la politique monétaire.

Aujourd’hui, je voudrais dans mon discours aller au fond de la communication en tant qu’instrument de politique monétaire et expliquer l’importance d’une bonne communication des banques centrales pour le succès de la politique monétaire et ce qui fait une bonne communication.

Pour ce faire, je procéderai en trois étapes et me pencherai d’abord sur le développement de la communication des banques centrales et son importance en général. Ensuite j’esquisserai les défis particuliers pour la communication d’une politique monétaire dans un environnement de taux d'intérêt quasiment nuls. Enfin je voudrai donner un aperçu sur le futur et voir comment la communication peut aider la politique monétaire à retrouver le chemin de la normale, sans pour autant qu’il y ait des perturbations sur le marché.

2 L’importance de la communication en matière de politique monétaire

Il y a encore quelques décennies, les banques centrales étaient plutôt réservées dans leur politique de communication, on pourrait presque dire non transparentes. Jusqu’au début des années 1990, une aura de mystère flottait autour des banques centrales. C’est ainsi que l’économiste Karl Brunner, important théoricien en matière monétaire, traitait le monde des banques centrales d’art ésotérique auquel seules des élites initiées avaient accès ; d’ailleurs la proximité de l’ésotérisme se retrouverait, selon lui, dans l’incapacité inhérente à se faire comprendre.

La mise en garde, dans ce contexte, de l’ancien président de la banque centrale américaine, Alan Greenspan, est presque légendaire : « Si mes déclarations vous paraissent anormalement claires, c’est que sans aucun doute vous m’avez mal compris. » Et ce n’est pas un hasard si un livre sur la Réserve fédérale, qui a grimpé les échelons de la liste des best-sellers, il y a trente ans, avait comme titre « The Secrets of the Temple » – Les secrets du temple.

C’est justement à l’exemple de la Fed américaine que l‘on peut montrer clairement comment la communication en politique monétaire n’a cessé de se transformer : avant 1994, le Comité fédéral de l’open market (Federal Open Market Committee – FOMC) ne donnait aucune information sur le Federal Funds Target Rate, c’est-à-dire le taux directeur de la Fed. A partir de 1994, ce que l’on appelait des statements étaient publiés lorsqu’il y avait des modifications du taux cible.

A partir de la fin de l’an 1999, le FOMC a présenté après chaque réunion une déclaration qui, à partir de 2002, dévoilait également les résultats des votes. A partir de 2003, les statements contenaient des déclarations explicites sur la trajectoire probable des taux.

A partir de 2007, le FOMC a publié quatre fois par an les prévisions individuelles de ses membres sur la croissance, le chômage, l’inflation et les taux. En 2011, une conférence de presse s’est tenue pour la première fois après la réunion du FOMC qui, depuis, a lieu aussi quatre fois par an.

L’objectif d’une communication plus intensifiée des banques centrales est d’obtenir une plus grande transparence.

D’une part les banques centrales peuvent ainsi mieux satisfaire les exigences de rendre des comptes au public. Car des banques centrales indépendantes ne sont pas un état dans l’état et sont tenues, dans une démocratie, d’expliquer leur politique monétaire. Du moment où elles expliquent leurs décisions de manière compréhensible, elles renforcent la confiance du public dans leur capacité à remplir leur mission de maintenir la stabilité des prix. Et cette confiance est le plus précieux capital dont dispose une banque centrale.

Par ailleurs, il est possible de faire de la politique monétaire grâce à la communication. Lorsque les personnes ont des activités économiques, que ce soit en tant qu’entrepreneur ou employé, consommateur ou autre, ils agissent avec circonspection. Ils créent des attentes qu’une banque centrale peut influencer par la communication. Ou bien comme l’a décrit l‘économiste américain Michael Woodford :

« Comme les décideurs les plus importants dans une économie nationale agissent avec circonspection, les banques centrales influencent l’économie par leur influence sur les attentes comme par leurs transactions directes sur le marché monétaire. »[1]

L’effet de la politique monétaire dépend même moins du taux du marché monétaire à court terme que des attentes sur la trajectoire future des taux directeurs et surtout des taux à long terme. Les entrepreneurs et banquiers parmi vous pourront confirmer que les décisions relatives à l’épargne et aux investissements ne dépendent du taux de l’argent à trois mois, mais des taux de 5 à 10 ans. Mais la politique monétaire n’a qu’une influence indirecte sur eux.

La communication sert donc à gérer les attentes et plus il y a d’harmonie entre les attentes et le mandat de politique monétaire, le mieux la banque centrale stabilisera la demande macroéconomique et par là également l’évolution des prix.[2]

Comment maintenant les banques centrales gèrent-elles les attentes en matière de politique monétaire ? La communication d’un objectif pour l’inflation joue un rôle central car elle provoque un gain de stabilité.[3] Elle contribue à ancrer les attentes en termes d’inflation des acteurs économiques ; cet ancrage entre autres se valorisera par une inflation moins volatile. En ce sens, ce n’est pas un hasard que l’augmentation de l’activité de communication des banques centrales soit allée de pair avec l’apparition de la stratégie de gestion de l’inflation.

Le Conseil des gouverneurs de la BCE a publié déjà avant l’introduction de l’euro une définition quantitative de la stabilité des prix et l’a précisée par la suite. L’activité de communication de la BCE et des banques centrales nationales dans la zone euro est allée dès le début plus loin que cela.

Outre les arguments des comptes à rendre et de la gestion des attentes, ce qui a également joué un rôle c’est le fait que la BCE, en tant qu’institution, n’avait pas encore de renommée dans le domaine de la politique monétaire. Par une communication compréhensible, il s’agissait de dissiper les doutes éventuels quant à l’orientation sur la stabilité de l’Eurosystème.

Avec la conférence de presse citée auparavant, la BCE dispose d’un instrument de communication qui offre la possibilité d’expliquer les décisions de politique monétaire dans de très brefs délais et en détail. 

Les déclarations introductives ne permettent pas d’avoir une idée d’ensemble de l’éventail d’opinions à l’intérieur du Conseil des gouverneurs de la BCE. A ce propos, le conseil des gouverneurs de la BCE publie depuis 2015 ce qu’il appelle les « Accounts », des comptes rendus assez détaillés des réunions de politique monétaire du Conseil des gouverneurs de la BCE. On y trouve toute la gamme des arguments avancés.

Aussi d’autres banques centrales publient en partie les procès-verbaux de leurs réunions avec les résultats des votes nominaux, ce à quoi la BCE a toujours renoncé dès le début pour de bonnes raisons. On veut éviter par-là que les décisions des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE soient jugées dans la perspective nationale de leur pays d’origine et prévenir ainsi le danger de politisation de la politique monétaire.

Par ailleurs la Bundesbank a déjà de très bonne heure, encore à l’époque du deutschemark, accordé de l’importance à la communication avec le public. Cela s’explique par son indépendance marquée qui oblige à rendre des comptes comme dit plus haut. Parallèlement, on a reconnu très tôt combien le succès d‘une politique monétaire orientée vers la stabilité dépendait de ce que la population bien informée comprenne la stratégie de politique monétaire et apprécie la valeur d’une monnaie stable.

Si le peuple allemand n’avait pas eu une si haute opinion d’une monnaie stable, la Bundesbank aurait eu plus de difficulté à mettre en œuvre sa politique, d’autant qu’elle n’était pas appréciée de tous à tout moment.

La communication de la banque centrale à l’époque du deutschemark servait cependant moins à gérer les attentes. En cela, la Bundesbank aurait été bien en avance sur son temps ; en fin de compte, l’importance de la gestion des attentes pour la politique monétaire n’a été découverte qu’au milieu des années 1990. Au contraire : jusque dans les années 90, les banquiers centraux n’avaient pas peur de surprendre les marchés par une décision sur les taux.

Aujourd’hui les décisions de politique monétaire sont à ce point préparées en termes de communication que la décision elle-même ne laisse plus de place à un peu de surprise.

En outre, une bonne communication de banque centrale se définit par le fait qu’elle souligne la dépendance de la situation des décisions de politique monétaire – c’est-à-dire qu’elle explique combien et comment l’orientation de la politique monétaire dépend de l’environnement économique.

La communication devrait, dans la mesure du possible, expliquer et transmettre de manière claire et précise l’objectif ainsi que la façon de réagir à des écarts par rapport au but. En termes simplifiés, elle devrait communiquer la fonction de réaction de la politique monétaire pour éviter des incertitudes inutiles.

De cette manière les acteurs économiques devraient mieux comprendre comment la politique monétaire va réagir à de nouvelles informations. Ainsi ils peuvent d’eux-mêmes adapter leurs attentes en termes de taux et d‘inflation et par là leur comportement vis-à-vis d’éléments nouveaux, comme par exemple une hausse inattendue du prix du pétrole. Et du fait qu’ils le font, la banque centrale doit pour elle-même moins réagir au changement dans l’environnement économique.

Mais comment se présente une bonne communication de banque centrale concrètement ? Quelle ampleur doit-elle avoir et à quel point doit-elle être détaillée ?

Il apparait que plus de communication ne veut pas en soi dire meilleure communication. La transparence totale pourrait éventuellement par la seule quantité d’informations dispensées plutôt contribuer à voiler qu’à éclaircir.[4]

Toutefois les banques centrales devraient communiquer le plus précisément possible. Car si les signaux qu’elles émettent ne sont pas suffisamment clairs, cela peut provoquer une volatilité indésirable sur les marchés qui peut aussi se répercuter sur les développements de l’économie réelle.

Une communication précise est surtout importante en période de forte incertitude, par exemple lorsqu’en réaction à une crise, des mesures non conventionnelles sont introduites, utilisées et finalement abandonnées. Par une large approche de communication, qui se sert de différents canaux, la banque centrale peut éviter que l’on porte trop d’attention à des annonces isolées comme la conférence de presse.[5]

C’est en effet la conférence de presse qui montre que les marchés financiers réagissent de manière très sensible à la communication des banques centrales. Simultanément la politique monétaire, elle aussi surveille minutieusement les indicateurs du marché financier comme valeurs importantes dans le procès de transmission de politique monétaire. La dépendance mutuelle de la politique monétaire et des marchés financiers peut engendrer un problème.[6]

Paul Samuelson, prix Nobel, l’a déjà décrit de manière claire lorsqu’il a comparé un jour la politique monétaire à un singe qui se voit pour la première fois dans un miroir : le singe pense qu’il gagne de nouvelles informations en regardant l’autre singe, alors que ce n’est que son image miroir qu’il voit.[7]

Si les marchés financiers reflètent pour une bonne partie la communication des banques centrales, le contenu en information des signaux du marché est limité – ce qui augmente le risque de mauvaises décisions de politique monétaire si ces relations mutuelles sont masquées.

Le chef économiste de la BRI, Hyun Song Shin, s’est également penché sur l’interaction entre marchés financiers et communication en matière de politique monétaire et a fait remarquer à raison que – malgré l’importance incontestable des marchés financiers pour la politique monétaire – les banques centrales ne devraient pas finir comme le lapin qui fixe le serpent.

Si les banques centrales utilisent la communication comme instrument de politique monétaire, elles ne devraient pas avoir peur de donner l’orientation nécessaire pour la seule raison qu’elles craignent la contre-réaction des marchés. Sinon la communication pourrait se transformer en boucle infinie. Shin met en garde : « Moins la voix de la banque centrale est perceptible pour ne pas fâcher les marchés, plus les acteurs des marchés se penchent avant pour mieux entendre. » [8]

3 La communication en matière de politique monétaire sur la ligne zéro

Le fait d’arriver à la limite inférieure effective des taux d’intérêt a mis la politique monétaire devant des défis de communication tout particuliers. Etant donné que cette situation est très exceptionnelle, les acteurs économiques ont plus de difficulté qu’à l’habitude à anticiper le comportement de la banque centrale. Celle-ci doit donc expliquer encore plus clairement sa fonction de réaction en matière de politique monétaire.

Depuis juillet 2013, c’est-à-dire avant qu’on ait atteint la limite inférieure effective des taux, le conseil des gouverneurs a commencé à donner, dans le cadre de ce qu’on appelle le forward guidance, des indications sur l’évolution future des taux directeurs. C’est ainsi que le Conseil des gouverneurs a informé qu‘il « s’attendait à ce que les taux directeurs de la BCE resteront à leurs niveaux actuels ou à des niveaux plus bas sur une période prolongée ». De fait, les taux directeurs ont été ensuite plusieurs fois abaissés par petites étapes.

Avec le forward guidance, les banques centrales n’ont pas seulement rendu leurs décisions plus compréhensibles. Parallèlement il était possible de générer une pression à la baisse supplémentaire sur les taux à long terme. Pourtant le forward guidance ne se limite pas seulement à des indications sur l’évolution future des taux directeurs, comme je le démontrerai par la suite. Bien plus, il comprend en principe toutes les indications sur les décisions futures en matière de politique monétaire.

Pour l’Eurosystème, le forward guidance était une nouveauté, mais d‘autres banques centrales l’utilisaient depuis un certain temps dans le cadre de leur politique monétaire normale. La banque centrale de Nouvelle-Zélande publie, depuis deux décennies déjà, des projections sur l‘évolution future des taux d’intérêt, en Europe ce sont les Norvégiens et les Suédois qui ont été les pionniers.

Le forward guidance ne doit alors pas être mal interprété comme un instrument qui, en fin de compte, ne peut être utilisé qu‘en périodes de crise – même si l’instrument n’est connu d’un large public que depuis la crise. Le forward guidance se situe dans un certain rapport de tension vis-à-vis de la dépendance de situation des décisions de politique monétaire que je viens de souligner.

Dans la littérature, on fait souvent la différence entre le forward guidance de Delphes ou d’Ulysse. Cela fait référence d’une part à l’oracle de Delphes qui faisait des prédictions, mais pas de promesses ; d’autre part à Ulysse qui s’est fait attacher au mât de son bateau et a donné des boules de cire à ses matelots pour se boucher les oreilles pour qu’ils ne succombent pas aux chants irrésistibles des sirènes.

Une banque centrale qui utilise le forward guidance comme Ulysse ne se laisserait en aucun cas détourner de la voie annoncée. Elle suit « de manière inconditionnelle » ce qu’elle a annoncé – pour cette raison, on parle du forward guidance «non conditionné ».

Le forward guidance du Conseil des gouverneurs était par contre toujours lié à des conditions. C’est ainsi que l’annonce d’une estimation à moyen terme s’appuyait toujours sur des prévisions d’inflation modérée. Si la dynamique de l’inflation avait démarré plus vite que prévu, l’Eurosystème aurait pu quitter la trajectoire prévue, même si cela avait demandé certains efforts d’explication. Rien d’autre n’aurait été compatible avec le mandat de la BCE.[9]

Pour assouplir davantage la politique monétaire à la limite inférieure des taux, malgré les possibilités d’action limitées, les banques centrales ont fait appel à des mesures non conventionnelles ; dans l’Eurosystème fut mis en place un important programme d’achat de titres.

Lorsque les achats de titres débutèrent, le forward guidance fut assorti de la promesse que les achats nets ne se feraient que jusqu‘à une certaine date ou, si cela était nécessaire, au-delà. En tout cas, ils devaient être prolongés « jusqu’á ce que le Conseil des gouverneurs observe un ajustement durable de l’évolution de l’inflation conforme à son objectif ».

Par la suite, le forward guidance a été complété d’une prise de position qui laissait entendre que la BCE pourrait accroître le volume et/ou prolon


ger la durée du programme si les perspectives deviendraient moins favorables entre-temps.

On a caractérisé cette phrase de « easing bias », de biais d’assouplissement : du fait que la politique monétaire ne parlait que de relâcher encore les rênes en cas de nécessité, elle soulignait son orientation expansive. J‘ai fait allusion à son abandon, en mars 2018, au début de mon discours, lorsque j’ai dit que la communication des banques centrales peuvent aussi contenir un message lorsque quelque chose n’est pas dit ou plus dit.

Indépendamment de l’opinion que l’on puisse avoir sur ce programme – et vous savez que je vois d’un œil critique les achats de titres d’emprunt d’État, surtout dans le contexte de l’union monétaire – on peut tabler sur le fait que le forward guidance a renforcé l’effet expansif du programme d’achat. Dans quelle mesure concrètement, à ce sujet les estimations des experts sont largement divergentes.

4 Pilotage communicatif de la normalisation

Il faudra donc retenir que la communication des banques centrales précisément à la limite inférieure effective des taux d’intérêt n’explique pas seulement la politique monétaire, mais a également donné des impulsions de politique monétaire propres étonnantes.

Dans la dernière partie de mon discours, je voudrais vous donner un aperçu de comment la communication peut aider à normaliser à nouveau la politique monétaire sans que pour autant il y ait des perturbations sur les marchés.

Selon les dernières prévisions de l’équipe de la BCE, le taux d’inflation dans la zone euro augmentera jusqu’en 2020 à environ 1,7 pour cent pour atteindre alors une valeur qui est grosso modo compatible avec notre définition de stabilité des prix : « inflation inférieure à, mais proche de 2 pour cent à moyen terme », tel est l’objectif que s’est fixé le Conseil des gouverneurs. Pour cette raison, il n’est pas étonnant que sur les marchés financiers, on s’attende depuis quelque temps à la fin des achats d‘actifs nets cette année encore ; les achats sont annoncés jusqu’en septembre au moins.

La fin des achats d‘actifs nets ne serait qu’un début de normalisation de la politique monétaire qui prendra un certain temps. C’est justement pour cette raison qu’il est si important de ne pas repousser inutilement ce début. La normalisation donnerait aussi à la politique monétaire une nouvelle marge de manœuvre pour réagir à d’éventuels replis futurs de l’économie, car la reprise économique actuelle ne perdurera pas éternellement.

Certains observateurs interprètent déjà le ralentissement récent de la conjoncture comme la fin proche de l’essor. Je considère toutefois que ces inquiétudes sont exagérées.

Après une croissance exceptionnellement forte l’année dernière – la zone euro a connu pendant plusieurs trimestres une croissance au-delà de son potentiel – le ralentissement au début de cette année n’est pas à considérer comme un retournement du cycle économique mais comme un creux dans la tendance à la hausse. Il faut également tenir compte de certains effets exceptionnels qui se répercutent comme par exemple la vague de grippe qui a probablement fait augmenter le nombre d’employés en arrêt de maladie également dans votre institution.

Toutefois les tendances protectionnistes qui se font jour actuellement sur la scène internationale sont un sujet de préoccupation. Elles renferment un vrai risque pour la conjoncture – et en fin de compte même un risque pour la croissance et la prospérité. Par conséquent il est d’autant plus important que le conflit commercial ne dégénère pas en guerre commerciale.

Le forward guidance rend des services précieux également en ce qui concerne la communication sur la proche fin des achats de titres. 

Les expériences de la Fed quant au processus de normalisation sont très utiles dans ce contexte. L’annonce relativement vague d’un ralentissement possible des achats de titres, en mai 2015, a déclenché de violentes réactions sur les marchés financiers pour lesquelles s’est même forgé un terme propre. À partir de l’expression anglaise pour une crise de colère infantile (« temper tantrum ») et du mot diminution progressive (« tapering ») a été créé le concept de « taper tantrum ».

Ce « taper tantrum » a montré que les banques centrales devaient bien se préparer en termes de communication pour sortir d’une phase exceptionnelle de la politique monétaire. Un bon exemple pour démontrer comment cela fonctionne a été donné par la Fed un an plus tard, lorsqu’elle a publié des principes de normalisation qui constituent le fondement de toutes les décisions prises depuis. Il est donc possible de réussir à trouver un équilibre entre les directives approximatives et un maintien suffisant de flexibilité dans la politique monétaire.

Le forward guidance du Conseil des gouverneurs contient d’une part l‘annonce qu’à la fin des achats nets de titres, les montants de remboursement seraient réinvestis jusqu’ à nouvel ordre et ce « pendant une période prolongée et, en tout cas, aussi longtemps que nécessaire ». Alors lorsqu’un titre arrive à échéance, l’Eurosystème réinvestit au remboursement la valeur nominale dans un autre titre.

On dira en simplifiant que l‘Eurosystème cesse avec la fin des achats nets d’appuyer à fond sur l’accélérateur de la politique monétaire, mais ne lève pas le pied à ce stade.

Par ailleurs le Conseil des gouverneurs anticipe que les taux directeurs resteront à leurs niveaux actuels « pendant une période prolongée et bien au-delà de l’horizon fixé ».

L’Eurosystème ne maintient pas seulement le pied sur l’accélérateur, mais promet aussi ne pas actionner tout de suite le frein des taux.

L’évolution conjoncturelle dans la zone euro sera probablement bien plus avancée lorsque débutera la phase de normalisation qu’à l’époque aux États-Unis. La première augmentation des taux pourrait en ce sens avoir lieu plus vite à la fin des achats nets qu’aux États-Unis. Là plus d’une année s’est écoulée entre la fin des achats de titres et la première remontée des taux. 

Les acteurs du marché attendent une première hausse des taux environ en milieu d’année 2019, ce qui ne me paraît pas vraiment irréaliste. En même temps la formulation « pendant une période prolongée et bien au-delà de l’horizon fixé » est relativement vague et soulève la question de savoir si et quand la date devrait être concrétisée.

Avec la fin des achats nets tombe pour ainsi dire le support calendaire du forward guidance, car, jusqu’à présent, on ne cite de date que pour le programme d’achat. En outre disparaît le lien entre la fin des achats nets et un ajustement durable de la trajectoire de l’inflation conforme à l’objectif d’inflation. Mais visiblement la trajectoire des taux d’intérêts et la date à laquelle se termineront les réinvestissements seront définies par l’évolution probable de l’inflation.

En outre le forward guidance de l’Eurosystème n’est pas explicite quant à l’ordre chronologique de la première hausse des taux et la fin des réinvestissements. Si l’on copie le modèle de séquencement de la Fed, il y aura d’abord le premier pas au niveau des intérêts. En tous cas la plupart des acteurs du marché financier tablent sur cet ordre et le Conseil des gouverneurs n’a pas jusqu’à présent eu de motif de corriger cette attente. Néanmoins : il n’a pas pris par-là de décision.

Il y a donc plusieurs possibilités d’adapter le forward guidance de l’Eurosystème après la fin des achats nets. Il y a lieu de tenir compte du compromis suivant : plus les étapes suivantes sont expliquées de manière concrète et exhaustive, plus il sera possible de gérer avec précision les attentes du marché. De ce fait l’incertitude se réduit parce que les marges d’interprétation des acteurs du marché sur la trajectoire future des intérêts diminuent.

Cependant cela augmente le danger que l’Eurosystème, à une date ultérieure, s’éloigne du cours communiqué en raison de nouvelles informations et d’une appréciation modifiée de l’évolution de l’inflation.

Vous voyez ici à nouveau : On the one hand ... on the other hand – d’une part ... d’autre part. Harry Truman se rappelle à notre souvenir.

Le Conseil des gouverneurs de la BCE se trouve aussi confronté à la difficulté de comment donner aux marchés, pendant le processus de normalisation et bien au-delà, plus de clarté sur la trajectoire de hausse des taux d’intérêt à laquelle il s’attend.

À mon avis, ce serait aller trop loin de publier des trajectoires détaillées d’intérêts comme certaines banques centrales le font déjà – par exemple la banque centrale suédoise et la norvégienne ou la Fed. Alors que les Suédois et les Norvégiens présentent pour l’évolution des taux directeurs des diagrammes, la Fed présente ce qu’on appelle « dot plots », sur lesquels est décrit quel niveau de taux les différents membres du FOMC considèrent comme adéquats pour les années à venir et à long terme.

Si les incertitudes qui pèsent sur les prévisions sont importantes, la publication des prévisions par points pour la trajectoire des intérêts peuvent éventuellement amener plus de confusion que d‘utilité – les études scientifiques ne transmettent pas non plus de vision précise dans ce contexte. 

5 Perspective

Mesdames, Messieurs,

Dans mon exposé, je vous ai expliqué l’importance de la communication des banques centrales en tant qu’instrument de la politique monétaire. La communication ne sert pas seulement à la transparence d’une banque centrale, mais aussi et surtout à la gestion des attentes.

Avec le forward guidance de l’Eurosystème, il a été possible d’accompagner au niveau de la communication l’introduction et la mise en œuvre de mesures non conventionnelles. À la sortie de la politique monétaire non conventionnelle, des indications projetées vers l’avenir seront également des aides précieuses, sans que pour autant le Conseil des gouverneurs se laisse lier les mains pour l’avenir.

Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, le Conseil des gouverneurs devra se consacrer à la préparation de la normalisation en termes de communication.

L’époque où au-dessus des banques centrales flottait une aura de mystère est révolue depuis longtemps.

Je vous remercie de votre attention et j’aurai plaisir à la discussion.

Note:

  1. M. Woodford (2005), Central-Bank Communication and Policy Effectiveness, présentation lors du Federal Reserve Bank of Kansas City Symposium, Jackson Hole.

  2. R. Clarida, J. Galí et M. Gertler (1999), The Science of Monetary Policy: A New Keynesian Perspective, Journal of Economic Literature 37, No. 4, p. 1661-1707.

  3. Par exemple C.J. Erceg et A.T. Levin (2003): Imperfect credibility and inflation persistence, Journal of Monetary Economics 50, p. 915-944.

  4. O. Issing (2004), Kommunikation, Transparenz, Rechenschaft - Geldpolitik im 21. Jahrhundert, Discours « Thünen » tenu lors de la conférence annuelle de l’association « Verein für Socialpolitik » à Dresde.

  5. C.A. Sims (2005), Rational inattention: a research agenda, Deutsche Bundesbank Discussion Paper 34/2005.

  6. S. Morris et H.S. Shin (2018), Central Bank Forward Guidance and the Signal Value of Market Prices, BIS Working Paper 692.

  7. P. Samuelson (1994), Panel remarks, Federal Reserve Bank of Boston conference, Conference Series 38, Jeffrey C. Fuhrer (Hg.): « Goals, Guidelines and Constraints Facing Monetary Policymakers ».

  8. H.S. Shin (2017), Can central banks talk too much? Discours tenu lors de la conférence de la BCE « Communication challenges for policy effectiveness, accountability and reputation » à Frankfurt le 14 november 2017.

  9. B. Cœuré (2017), Central bank communication in a low interest rate environment, discours tenu à l’Institut Bruegel, Bruxelles, 31 mars 2017.