Déclaration liminaire à l’occasion de la conférence de presse sur le bilan

1 Paroles de bienvenue

Mesdames et Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue à notre conférence de presse sur le bilan, qui se tient cette année en format virtuel – comme actuellement beaucoup d’autres événements. En effet, la pandémie a profondément changé notre quotidien.

Bien plus de deux millions de personnes sont déjà décédées à travers le monde, et encore davantage sont gravement tombées malades.

Les gens s’inquiètent pour leur santé – leur propre et celle de leurs proches, surtout celle des plus âgés. La pandémie est tout d’abord une grave crise sanitaire qui doit être vaincue d’urgence.

En même temps, de plus en plus de citoyens craignent pour leur emploi, leur commerce ou leur entreprise. Les nombreux messages qui me parviennent à ce sujet en témoignent.

En plus, de nombreux parents s’inquiètent pour la formation de leurs enfants. En effet, la pandémie a également une dimension sociale et économique.

Je voudrais tout d’abord me pencher plus en détail sur l’évolution de l’économie en Allemagne ainsi que sur les vastes mesures prises en matière de politique budgétaire et monétaire pour atténuer les conséquences de la crise. J’aborderai ensuite les thèmes du changement climatique et de la protection du climat – des défis que doivent relever toutes les institutions. Pour finir, je présenterai les comptes annuels de la Bundesbank pour l’année 2020, dans lesquels se reflète un grand nombre de ces évolutions.

2 Évolution économique en Allemagne

Il y a environ un an, la pandémie a provoqué un effondrement de l’économie mondiale à une vitesse sans précédent. En quelques semaines, des mesures d’endiguement imposées ou volontaires ont paralysé tout autour du globe des pans entiers de l’économie. Des chaines logistiques internationales ont été interrompues, entraînant des ruptures de production pour certaines usines. Encore plus affectés ont été les services à forte intensité de contacts, comme dans le secteur touristique, dans l’hôtellerie et dans la restauration, ainsi que les services liés aux loisirs et à la culture.

Cependant, la vie économique n’a pas seulement été entravée par les mesures d’endiguement prises par l’État. Tant que la pandémie perdurera, les citoyens limiteront d’eux-mêmes les contacts pour diminuer les risques de contagion.

Depuis l’automne, l’Allemagne est en proie à une deuxième vague d’infections, dont les conséquences économiques sont toutefois bien moins dramatiques. En effet, les mesures de protection sont plus ciblées et beaucoup d’entreprises ont appris à mieux gérer la situation. Surtout l’industrie s’avère robuste, entre autres parce que les produits allemands continuent d’être demandés à l’étranger et que le commerce mondial se redresse progressivement.

Certains secteurs ont certes été fortement touchés, mais l’activité économique en Allemagne s’est améliorée encore légèrement au dernier trimestre 2020. Pour le trimestre en cours, les experts en conjoncture de la Bundesbank prévoient un recul. Celui-ci devrait toutefois être nettement plus faible que l’effondrement économique au premier semestre 2020.

C’est ce qu’indique aussi l’indice d’activité hebdomadaire que nos experts ont conçu au printemps dernier.[1] Compte tenu des évolutions fulgurantes, les indices habituels pour observer les tendances économiques ne sont plus suffisants.[2]

Des indicateurs rapidement disponibles, comme des données sur la consommation d’électricité ou sur le péage pour les poids lourds, peuvent aider à se faire une idée aussi rapidement que possible. L’indice d’activité hebdomadaire collecte de telles informations non conventionnelles. Il a également anticipé assez tôt la reprise vigoureuse de l’économie allemande au troisième trimestre 2020.

L’été passé nous a montré que la reprise économique pouvait intervenir très rapidement, dès lors que la pandémie est jugulée. Aussitôt que les mesures de protection imposées ou volontaires seront peu à peu allégées, l’économie allemande renouera avec la reprise.

Le calendrier précis pour des allégements éventuels est incertain. Il dépend notamment de l’évolution de la pandémie. Jusqu’à présent, nos experts en conjoncture prévoient que des allégements notables interviendront au cours du deuxième trimestre. Surtout la diffusion de nouveaux variants plus dangereux du virus constitue un risque.

Malgré toute l’incertitude, la résilience de l’économie allemande dans son ensemble devrait toutefois être suffisamment forte pour surmonter une période de crise qui pourrait durer plus longtemps. Il serait donc important que l’État continue dans ce cas d’apporter un soutien temporaire aux entreprises et aux salariés.

Si le confinement devait par exemple rester en vigueur encore plus longtemps au deuxième trimestre, il serait probable que la reprise de l’économie serait, pour l’essentiel, uniquement décalée dans le temps (en comparaison avec les prévisions de décembre).

Certes, nos experts devraient alors revoir à la baisse le taux de croissance de 3 % pour 2021 qu’ils avaient prévu en décembre.

En fin de compte, il sera essentiel pour les perspectives économiques que la crise sanitaire soit durablement maîtrisée par des moyens médicaux.Nonobstant cela, l’économie allemande pourrait retrouver son niveau d’avant-crise à un moment plus ou moins équivalent à celui indiqué dans les prévisions, à savoir environ au début de l’année 2022.[3]

Des vaccins efficaces ont été développés plus rapidement qu’attendu par la plupart d’entre nous. Si nous parvenons avec leur aide à maîtriser la pandémie, l’économie allemande se redressera durablement.

C’est pourquoi nos experts ne remettent pas fondamentalement en question leurs prévisions de décembre dernier. Mais l’évolution future de la pandémie demeure hautement incertaine – et donc aussi les perspectives économiques.

Mesdames et Messieurs,Par conséquent, nos prévisions ont été accompagnées de scénarios alternatifs. Dans un scénario nettement plus défavorable, l’économie dans son ensemble ne retrouverait son niveau d’avant-crise qu’à la fin de l’année 2023 et subirait de graves dommages durables.

La consommation des ménages joue un rôle très important – tant pour la reprise attendue de l’économie que pour l’effondrement précédent. Ainsi, le taux d’épargne des ménages a bondi au printemps 2020 de près de 10 points de pourcentage à 20 %.

Une nouvelle enquête en ligne mensuelle menée par la Bundesbank suggère que des motifs de précaution classiques comme la crainte de perdre son emploi n’ont été que des raisons secondaires pour cette hausse record. Davantage de poids avaient les raisons qui étaient en lien direct avec la pandémie.[4]

Plus précisément, les gens ne pouvaient tout simplement pas dépenser leur argent en raison de l’offre restreinte ou y renonçaient de crainte de s’infecter.

Pour les anticipations, cela signifie que lorsque la pandémie sera jugulée, l’épargne involontaire devrait rapidement diminuer et le moteur de la consommation redémarrer. Le taux d’épargne pourrait même temporairement retomber en dessous de son niveau d’avant-crise en raison du fait que les ménages rattraperont en partie leur consommation non réalisée.

Toutefois, l’enquête de la Bundesbank montre également que ce sont surtout les ménages aux revenus supérieurs qui ont épargné. Les dépenses de consommation de ces ménages sont cependant relativement faibles par rapport à leurs revenus. C’est pourquoi une grande partie de leur épargne supplémentaire ne devrait pas être transformée rapidement en dépenses supplémentaires après la crise, mais plutôt contribuer à la création de fortune pendant une période plus longue.

Une très forte poussée de la demande, qui solliciterait cette année les capacités de l’économie allemande au-delà du niveau normal ne se dessine donc pas à l’heure actuelle.

Il est toutefois incertain si et dans quelle mesure une demande éventuellement reportée entraînera également une hausse des prix. Des risques à la hausse existent effectivement quant aux perspectives des prix, mais ils sont dans l’ensemble plutôt équilibrés.

Selon l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), le taux d’inflation en Allemagne a certes fait un bond de -0,7 % en décembre à +1,6 % en janvier et probablement reste à ce niveau en février. Trois facteurs exceptionnels ont toutefois été essentiels pour l’augmentation enregistrée au début de l’année :

Premièrement – et avant tout – les taux de TVA ont été ramenés à leur ancien niveau.

Deuxièmement, les prix des produits pétroliers et du gaz ont enregistré une hausse significative. En effet, des quotas d’émissions de CO2 ont été introduits début 2021 en Allemagne pour les domaines des transports et du chauffage d’immeubles.

Et troisièmement, il y a un changement statistique : ainsi, dans le cadre de leur mise à jour régulière, les proportions dans le panier de biens et de services de l’indice des prix à la consommation harmonisé ont été adaptées aux habitudes de consommation de l’année dernière, qui furent marquées par la pandémie.

Par conséquent, les voyages à forfait ne représentent plus que 1 % du panier – un tiers de leur part de l’année précédente. En combinaison avec l’évolution volatile des prix des voyages à forfait et compte tenu de la structure particulière de l’IPCH, le taux de renchérissement mesuré par l’IPCH s’est nettement accru en Allemagne au début de l’année.

Globalement, ces facteurs exceptionnels expliquent selon notre analyse environ 2 points de pourcentage de la flambée de l’inflation en janvier.[5] Ils devraient aussi entraîner une hausse du taux de l’IPCH – d’après les données actuelles – à plus de 3 % vers la fin de l’année ; toutefois, celle-ci ne devrait être que temporaire. C’est pourquoi nos experts prévoient actuellement pour la moyenne de l’année 2021 un taux d’inflation qui ne serait que légèrement au-dessus de leur prévision de décembre, à savoir 1,8 %.

Pour 2022, ils prévoient toujours une hausse modérée des prix. Une progression plus prononcée de l’inflation serait subordonnée à une hausse plus forte des salaires qui, cependant, ne se dessine pas à l’heure actuelle.

Pour le moment, les conséquences économiques de la crise sont encore au centre des préoccupations. Ainsi, la Bundesbank estime que le nombre de faillites d’entreprises augmentera sensiblement, toutefois à partir d’un niveau très bas. Le nombre de faillites restera probablement bien en dessous de son pic des années 2003 et 2004. Et les provisions pour pertes qui en résulteront devraient somme toute rester supportables pour le secteur bancaire.

3 Finances publiques

Le fait que l’effondrement économique du printemps dernier n’a jusqu’à présent pas entraîné des conséquences plus graves, voire une spirale baissière, est surtout dû aussi à une politique budgétaire courageuse.

La politique budgétaire joue un rôle essentiel dans la gestion des conséquences économiques de la crise. En effet, elle peut apporter un soutien financier direct aux entreprises et aux salariés concernés. À cause de la forte incertitude et de la dynamique de la pandémie, il est nécessaire de réajuster les mesures d’endiguement et de soutien de manière permanente.

Après la pandémie, il sera toutefois important que l’État diminue son influence sur l’économie et que les forces de croissance de l’économie privée puissent agir de nouveau. Il conviendra aussi d’empêcher que ne s’introduise une compréhension altérée du rôle de l’État qui affaiblirait les forces innovantes de notre économie de marché au lieu de les accentuer.[6]

De nombreux citoyens craignent par ailleurs que l’État allemand pourrait dépasser ses moyens avec les aides accordées dans le contexte de la pandémie.

Le taux d’endettement, donc le ratio des dettes publiques par rapport au PIB, devrait certes avoir considérablement augmenté à environ 70 % selon nos prévisions du mois de décembre 2020. Toutefois, le ratio d’endettement avait même atteint un pic de 82 % lors de la crise financière. L’État allemand dispose de suffisamment de marge de manœuvre financière – également grâce à la très bonne situation des finances publiques.

Pour autant, après la pandémie, il conviendra de fonder les finances publiques de nouveau sur des bases solides. En effet, l’Allemagne devra relever d’autres défis budgétaires à plus long terme. Ainsi, des dépenses supplémentaires ont été annoncées dans les domaines de la formation, de la protection du climat et de la transition numérique. S’y ajoute une hausse des dépenses pour les retraites, la santé et les soins suite à des décisions politiques ainsi qu’au changement démographique.

Finalement, un taux d’endettement moins élevé serait également important afin que l’État soit doté des moyens financiers pour affronter la prochaine crise.

Actuellement, nous prévoyons que le besoin de consolidation ne sera pas particulièrement élevé. De plus, il devrait être possible de l’étendre de manière appropriée sur la période de reprise économique.

À cette fin, l’État fédéral peut disposer pendant la période transitoire de ses réserves d’un montant de presque 50 milliards d’euros. Des déficits imputables à l’évolution conjoncturelle sont également autorisés. De plus, conformément au frein à l’endettement, l’État fédéral est capable de répondre à des besoins financiers structurels d’environ 10 milliards d’euros par an sous forme de crédits au cours des prochaines années.

Nous ne percevons toutefois pas de marge supplémentaire pour reprendre par exemple d’importantes charges des assurances sociales ou d’autres charges structurelles.

Si les effets de la pandémie devaient malgré tout persister de manière plus prononcée, un budget supplémentaire pourrait en principe être adopté. Il est encore difficile de prévoir de manière fiable s’il faudra recourir à une telle mesure ou non. Mais la décision sur cette question ainsi que celle de suspendre le frein à l’endettement également pour l’année prochaine ne doit pas être prise dans l’immédiat, mais uniquement dans le courant de l’année.

Sans aucun doute, il sera nécessaire, tout comme pour toute règle budgétaire efficace, d’harmoniser les recettes et les dépenses et de fixer des priorités. Compte tenu des prochaines élections au Bundestag, cette tâche n’incombera qu’au nouveau gouvernement lorsque celui-ci devra établir de nouveaux budgets.

Mais cela ne concerne pas uniquement l’Allemagne ; tous les États membres de l’Union monétaire devraient remettre de l’ordre dans leurs budgets après la crise. En particulier, les taux d’endettement en partie très élevés dans la zone euro doivent être réduits de manière fiable. Je considère donc qu’il est nécessaire de procéder à des réformes des règles budgétaires européennes pour les rendre plus efficaces.

La Bundesbank a déjà soumis en 2019 notamment trois réflexions sur la manière d’y parvenir.[7]

Premièrement, nous pensons que les nombreuses et larges marges d’appréciation devraient être limitées. Des montants maximaux de dépenses pourraient aider à rendre les règles plus simples et compréhensibles.

Deuxièmement, des fonds de stabilisation nationaux (« Rainy Day Funds ») offriraient une plus grande flexibilité. Ces fonds devraient être alimentés en périodes fastes pour créer davantage de marges en matière de dépenses supplémentaires pour les périodes de crise.

Troisièmement, il convient de surveiller strictement le respect des règles. C’est pourquoi cette tâche devrait être confiée à une institution indépendante.

Une telle réforme pourrait apporter au pacte de stabilité et de croissance des règles crédibles, transparentes et contraignantes qui relieraient flexibilité et stabilité.

Malheureusement, les statistiques nationales deviennent moins pertinentes dans la mesure où elles ne comprennent pas les nouveaux emprunts européens destinés au budget spécial « NextGenerationEU ».

Ainsi pourrait se créer l’illusion que les dettes supplémentaires de l’UE n’hypothéqueraient pas les États membres. Mais en fin de compte, ces dettes doivent elles aussi être remboursées par leurs contribuables.

Et cette charge peut être significative : il faut, par exemple, s’attendre actuellement à ce que la part allemande à la dette européenne atteindra environ 280 milliards d’euros en 2026 – ou 8 % de la performance économique de l’année 2019.[8]

Quant aux taux d’endettement nationaux, les dettes contractées au niveau de l’UE devraient donc être prises en compte et inclues dans l’analyse.

Finalement, des finances publiques viables constituent aussi un pilier dans les fondations de la politique monétaire. S’il s’effrite, il devient de plus en plus difficile pour les banques centrales d’assurer durablement la stabilité des prix.

4 Politique monétaire

Dans la crise actuelle, la politique monétaire apporte elle aussi une contribution importante pour atténuer les conséquences économiques. En raison de l’effondrement de l’économie, les perspectives en matière de prix se sont sensiblement détériorées dans la zone euro. Dans cette pandémie, il est particulièrement important que des moyens financiers suffisants soient disponibles pour l’économie et que les conditions de financement demeurent favorables.

Par conséquent, l’Eurosystème a rapidement réagi au début de la crise et, par la suite, pris de nouvelles mesures d’envergure en matière de politique monétaire.

Le Conseil des gouverneurs de la BCE a, entre autres, de nouveau considérablement abaissé le coût des opérations de refinancement à plus long terme ciblées (TLTRO III) et les a étendues. Cela a apporté aux banques un volume énorme de moyens financiers à long terme à des taux d’intérêt extrêmement bas.

Une des pièces centrales de l’ensemble de mesures est cependant aussi le programme d’achats d’urgence face à la pandémie PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme). Dans le cadre de ce programme, l’Eurosystème acquiert une grande quantité de titres des États membres.

À cet effet, le Conseil des gouverneurs de la BCE a dernièrement prolongé l’horizon temporel pour les achats nets au moins jusqu’à fin mars 2022, et les remboursements au titre du principal des titres acquis doivent être réinvestis au moins jusqu’à la fin de 2023.

En même temps, le Conseil a augmenté le volume maximal des achats au titre du PEPP à 1 850 milliards d’euros. Ce montant considérable correspond à un peu plus de 15 % de la performance économique de la zone euro en 2019.

Si on ajoute les autres programmes, les stocks de titres de l’Eurosystème dédiés à des fins de politique monétaire pourraient s’élever à la fin du mois de mars 2022 jusqu’à environ 5 000 milliards d’euros – ou environ 40 % du PIB de 2019.

Des achats de titres souverains peuvent constituer un moyen légitime et efficace de la politique monétaire. Mais de tels achats vont de pair avec des risques, surtout parce qu’ils peuvent effacer la frontière entre la politique monétaire et la politique budgétaire.

Ce risque pèse particulièrement lourd dans une union monétaire dont les États membres sont largement souverains en matière de politique budgétaire. C’est pourquoi je suis persuadé que de tels achats devraient être limités à des situations exceptionnelles.

La pandémie constitue incontestablement une telle situation exceptionnelle.

Pour moi, il est essentiel que la politique monétaire garde suffisamment de distance par rapport au financement monétaire des États. Cela implique aussi que les incitations à adopter des finances publiques saines doivent être maintenues.

Un rôle particulier incombe aux marchés de capitaux, qui ont pour tâche de discipliner la politique budgétaire. Par le biais des différences de prix des titres, les acteurs des marchés signalent leur niveau de confiance dans la solidité des finances publiques d’un pays. C’est pourquoi les marges de rendement entre les titres d’États membres aux solvabilités différentes ne doivent pas être aplaties artificiellement.

Et pour cette raison, la part des titres souverains en circulation détenue par l’Eurosystème ne devrait pas, à mon avis, devenir trop importante. En effet, les banques centrales pourraient autrement gagner une influence tellement dominante sur le marché que celui-ci ne serait finalement plus en mesure de discipliner les finances publiques.

Pour limiter ce risque, le Conseil des gouverneurs de la BCE a introduit d’importants mécanismes de sécurité dans le programme d’achat PSPP (Public Sector Purchase Programme) en cours depuis 2015.

De telles limites sont également prévues pour le PEPP. Celui-ci a cependant été conçu de manière plus flexible afin que la politique monétaire puisse, le cas échéant, exercer une influence plus ciblée sur différents marchés.

Cette flexibilité ne signifie toutefois pas qu’il n’y a pas de limites. Ainsi, la répartition des stocks de titres souverains acquis doit, à la fin des achats nets, se baser de nouveau sur la clé de répartition du capital de la BCE.

Lors de l’introduction du PEPP, il était particulièrement important pour moi que le programme soit limité dans le temps et clairement lié à la crise. Une fois la crise surmontée, les mesures d’urgence en matière de politique monétaire devront prendre fin. Nous devons veiller à ce qu’elles ne deviennent pas un instrument permanent.

Et nous ne devons pas non plus oublier que la politique monétaire était déjà très expansive avant la pandémie.

Il pourrait devenir de plus en plus difficile pour les banques centrales de mettre fin à temps à leur politique monétaire expansive. En raison de l’augmentation des dettes publiques et dans l’optique des coûts de financement des États, les banques centrales pourraient être soumises à des pressions pour maintenir les taux d’intérêt à un niveau bas plus longtemps que ne l’exigerait l’objectif de stabilité des prix.[9]

L’importance du risque d’une telle domination budgétaire dépend aussi des attentes.

Lorsque les politiciens partent du principe que les banques centrales assureront en fin de compte la viabilité des dettes publiques, il se peut que les États accumulent des dettes supplémentaires et renforcent ainsi la pression.

Le bien-fondé de telles craintes est prouvé par différentes revendications vis-à-vis de l’Eurosystème d’alléger la dette des États membres.

Par conséquent, les banques centrales doivent dès à présent faire part de leur détermination qu’elles ne céderont pas aux pressions politiques et resserreront la politique monétaire lorsque les prévisions de prix le nécessiteront.

En effet, le mandat de l’Eurosystème est sans équivoque : l’objectif principal est d’assurer la stabilité des prix. Pour continuer à remplir au mieux ce mandat, le Conseil des gouverneurs de la BCE a commencé l’an dernier à revoir sa stratégie en matière de politique monétaire.[10]

5 Changement climatique et protection du climat

Dans ce contexte, le Conseil des gouverneurs de la BCE se penche aussi sur la question importante du rôle des banques centrales dans la lutte contre le changement climatique.

Vous connaissez ma crainte que le mandat de la banque centrale pourrait être trop élargi et que finalement notre indépendance puisse être remise en question. Or, nous avons besoin de cette indépendance pour assurer durablement la stabilité de la monnaie.[11]

Il n’incombe pas aux banques centrales indépendantes d’intervenir en absence d’une politique climatique ambitieuse et crédible.

La politique dispose d’instruments efficaces et efficients, à savoir des impôts ou des quotas d’émissions, pour donner à notre économie une nouvelle orientation ciblée et à long terme. En revanche, la politique monétaire et ses instruments sont conçus de manière cyclique et large, afin de gérer la hausse des prix à la consommation.

C’est pourquoi nous devrions veiller en matière de protection du climat à ne pas brouiller les responsabilités entre les banques centrales et la politique. Les banques centrales peuvent quand même apporter une importante contribution.

La protection du climat est sans aucun doute une des tâches les plus urgentes de notre temps et ne saurait supporter aucun retard.

Le changement climatique et la transition vers une économie climatiquement neutre touchent de nombreux domaines de la Bundesbank, notamment la politique monétaire, la supervision bancaire et la surveillance de la stabilité financière.[12] En effet, ils peuvent influencer des données macroéconomiques et des hypothèses financières importantes, telles que l’inflation, la croissance et les taux d’intérêt. Une compréhension approfondie de ces effets est indispensable.

C’est pourquoi la Bundesbank élargit avec intensité ses compétences en matière d’analyse.

Ainsi, nos experts améliorent leurs modèles macroéconomiques afin qu’ils puissent par exemple examiner les effets des mesures de politique climatique – également dans le contexte de l’inflation et de notre objectif de stabilité des prix.

Ces enseignements sont également requis dans d’autres domaines de la Bundesbank. Ils doivent constituer le cadre macroéconomique pour analyser la vulnérabilité de notre système financier dans différents scénarios climatiques. En tant qu’étape importante sont prévus dans les années 2022/2023 des tests de résistance pour évaluer les effets de différentes évolutions du prix du CO2 sur la stabilité financière en Allemagne.

En effet, tant les effets physiques du changement climatique que la transition vers une économie climatiquement neutre créent des risques financiers. La supervision bancaire requiert déjà aujourd’hui que les établissements de crédit prennent en compte de manière appropriée les risques financiers liés au climat dans leur gestion des risques.

Cette intégration est un point essentiel de nos entretiens prudentiels avec les établissements et des entretiens avec les associations. Parallèlement, nous examinons la question de savoir dans quelle mesure le cadre réglementaire en matière de supervision devrait être adapté pour concrétiser encore davantage les exigences en ce qui concerne les risques financiers liés au climat.

En 2022 suivra le test de résistance de la BCE pour les grands établissements de crédit en Europe. Par ailleurs, les superviseurs bancaires de la Bundesbank ont commencé à élaborer des tests de résistance avec lesquels ils pourront analyser la résilience des établissements allemands dans différents scénarios climatiques.

Mais les risques financiers liés au climat peuvent aussi concerner les stocks de titres des banques centrales, y compris nos portefeuilles de politique monétaire. Au même titre que les autres risques financiers, notre gestion des risques devrait également intégrer ces risques climatiques.

L’absence d’une base de données uniforme et fiable pose un problème à cet égard. Tout comme les banques, les assurances et d’autres acteurs, nous avons besoin, en tant que banques centrales, de meilleures informations. Il s’agit de protéger nos bilans – et donc aussi notre capacité à assurer la stabilité des prix.

C’est pourquoi j’insiste toujours sur deux options :

Premièrement, l’Eurosystème ne devrait plus qu’acheter et accepter en tant que garanties éligibles dans le cadre des opérations de politique monétaire uniquement des titres dont les émetteurs remplissent certaines obligations de déclaration liées au climat.

Deuxièmement, nous devrions examiner la question de savoir si nous devrions recourir uniquement aux notations qui incluent de manière appropriée et compréhensible les risques financiers liés au climat.[13]

Les deux mesures ne peuvent pas être introduites immédiatement : les émetteurs ont besoin de temps pour mettre à disposition ces informations, et les agences de notation ne peuvent étendre et adapter leurs procédures de notation que lorsque ces informations sont disponibles.

Finalement, les deux mesures pourraient également influencer la composition de notre portefeuille de titres d’entreprises acquises dans le cadre de notre politique monétaire. Dans ce contexte, il ne faudrait pas perdre de vue le fait qu’évidemment les portefeuilles de politique monétaire ne resteront dans notre bilan qu’aussi longtemps que cela sera nécessaire pour assurer la stabilité des prix.

Un problème fondamental de la prise en compte des risques financiers liés au climat est qu’ils peuvent être d’importance sur une période temporelle qui va au-delà des horizons d’observation usuels des agences de notation.

Si une solution adéquate ne devait être trouvée à cet égard, les risques financiers liés au climat devraient être pris en compte de manière différente dans notre gestion des risques.

Là aussi devrait toutefois s’appliquer la règle que lorsqu’il s’agit de la protection de notre bilan, seuls les aspects de risques sont décisifs. Notre gestion des risques ne devrait pas être utilisée à d’autres fins.

Il est d’autant plus important de tout d’abord améliorer les informations en obligeant les émetteurs à soumettre des rapports et en établissant des normes en matière de notation. De cette manière, l’Eurosystème pourrait également contribuer à créer davantage de transparence sur les marchés en ce qui concerne les risques financiers liés au climat.

Ainsi, nous pourrions agir en tant que catalyseur du changement à l’intérieur du système financier et soutenir les politiques climatiques au sein de l’Union européenne – sans risquer d’entrer en conflit avec nos tâches essentielles ou d‘aller au-delà de notre mandat.

C’est pourquoi les banques centrales devraient porter leur attention surtout sur trois aspects : comprendre en profondeur les effets du changement climatique et de la politique climatique, tenir compte des risques financiers, et promouvoir la transparence dans ce domaine.

La Bundesbank relève ce défi indépendamment de l’examen de la stratégie de politique monétaire.

Actuellement, nous examinons la question de savoir dans quelle mesure nous pouvons tenir compte des informations pertinentes sur le climat dans nos notations internes de créances vis-à-vis d’entreprises.

En même temps, nous nous sommes occupés à évaluer et à publier l’empreinte climatique de nos propres placements financiers. Et nous créons un système de rapport interne pour rendre les risques financiers liés au climat plus visibles dans notre bilan.

Une base de données solide est nécessaire pour effectuer les différents travaux analytiques et scientifiques. C’est pourquoi nos statisticiens établissent un centre de compétences pour les données relatives au changement « vert » du système financier.

Pour les utilisateurs externes, un « Green Finance Dashboard » sera prochainement disponible sur le site Internet de la Bundesbank : un système d’indicateurs comprenant des informations agrégées sur les évolutions du climat, l’économie réelle et les marchés financiers, qui offre à l’utilisateur une image intégrée et complète de la finance verte.

6 Comptes annuels

Mesdames et Messieurs,

Les conséquences économiques de la pandémie et les mesures avec lesquelles l’État lutte contre les effets de la crise étaient au cœur de mon discours d’aujourd’hui. Les mesures exceptionnelles prises par la politique monétaire se répercutent également dans les comptes annuels de la Bundesbank.

Ainsi, notre total du bilan à la fin de l’année 2020 a atteint une valeur de plus de 2 500 milliards d’euros. Cela correspond à plus de 70 % de la performance économique de l’Allemagne en 2019. Avec une hausse de presque 750 milliards d’euros, le total du bilan a davantage augmenté que dans les années 2016 et 2017 ensemble.

Les vastes achats de titres dans le cadre de la politique monétaire et les opérations de refinancement à plus long terme ont contribué respectivement à hauteur d’environ un tiers à cette nouvelle extension du bilan. De plus, nos créances TARGET2 ont fortement augmenté par le biais des apports de liquidités.

En même temps, les vastes mesures de politique monétaire ont fait accroître les risques pesant sur le bilan, ce qui se répercute également sur nos comptes annuels.

D’une part, les risques de défaillance ont augmenté en raison du fait que nous avons acquis un grand nombre de titres d’entreprises.

D’autre part se sont accrus les risques de taux d’intérêt. En effet, avec nos achats de titres dans le cadre de notre politique monétaire, la faible rémunération des actifs est fixée pour une longue période, alors que les charges d’intérêts pour les passifs sont en principe variables. Les périodes de taux fixes à l’actif du bilan, d’une part, et au passif du bilan, d’autre part, divergent donc fortement.

En raison des taux d’intérêt négatifs, nous enregistrons certes actuellement des produits issus des dépôts des banques auprès de la Bundesbank. Mais lorsque les taux directeurs grimpent, ces produits d’intérêts peuvent rapidement se transformer au passif en charges d’intérêts. Or, à l’actif, la Bundesbank n’engendrera guère de produits, même à plus long terme.

La Bundesbank évalue les risques à la date de clôture du bilan sur la base des mesures de risques reconnues à l’aide de calculs sur modèle, à partir desquels est déduit le volume nécessaire des provisions pour risques.

L’évaluation modélisée a fait apparaître une hausse substantielle des risques. C’est pourquoi nous devons prendre des mesures de prévoyance au niveau du bilan. Nous augmentons par conséquent les provisions pour risques dans une première étape de 2,4 milliards d’euros.

Mais cette augmentation ne couvre qu’une partie de la hausse des risques encourus l’an passé. Pour l’année en cours, nous prévoyons donc une nouvelle augmentation des provisions pour risques, d’autant plus qu’il ne faut pas s’attendre à un changement fondamental de la situation en matière de risques.

Notes de bas de page:

  1. Deutsche Bundesbank, Weekly activity index for the German economy, mai 2020, p. 71-73.
  2. Deutsche Bundesbank, Economic monitoring in times of COVID-19: increased need for timely and higher-frequency indicators , rapport annuel 2020, p. 15-17.
  3. Deutsche Bundesbank, Outlook for the German economy for 2021 to 2023, Rapport mensuel, décembre 2020, p. 17-38.
  4. Deutsche Bundesbank, Households’ saving behaviour during the pandemic, Rapport mensuel, décembre 2020, p. 28 ss.
  5. Deutsche Bundesbank, Coronabedingte Sondereffekte beim HVPI im Jahr 2021, Rapport mensuel, février 2021, pp. 64-67.
  6. Weidmann, J., Calling on the government, Deutsche Bundesbank, discours du 2 septembre 2020.
  7. Deutsche Bundesbank, European Stability and Growth Pact: individual reform options, Rapport mensuel, avril 2019, pp. 79-93.
  8. Deutsche Bundesbank, The informative value of national fiscal indicators in respect of debt at the European level, Rapport mensuel, décembre 2020, pp. 39-49.
  9. Weidmann, J., Too close for comfort? The relationship between monetary and fiscal policy, discours du 5 novembre 2020.
  10. Weidmann, J., Changement et continuité, discours du 3 février 2020.
  11. Weidmann, J., Sur les éventuelles conséquences à long terme de la crise de coronavirus pour l’économie et la politique monétaire, discours du 16 décembre 2020.
  12. Deutsche Bundesbank, The significance of climate change for the Bundesbank’s tasks, Rapport annuel 2019, p. 22 ss.
  13. Weidmann, J., Combating climate change – What central banks can and cannot do, discours du 20 novembre 2020.