Tharman Shanmugaratnam : «La confiance que le marché puisse tout régler s'est évanouie »

En termes insistants, Tharman Shanmugaratnam, vice-Premier ministre de Singapour et ministre de la Coordination, a plaidé en faveur du renforcement d’une croissance inclusive. « L’idée que le marché puisse tout régler a échoué », a-t-il déclaré devant des scientifiques, des professeurs, des étudiants et d’autres hôtes dans une conférence donnée à l’université Goethe de Francfort sur invitation de la Deutsche Bundesbank. Selon lui, il est nécessaire de développer une nouvelle conception du monde - de nouvelles stratégies, de nouvelles formes de gouvernement et une nouvelle orientation - pour permettre à toutes les couches de la population de participer à la prospérité économique. « Laisser faire le marché n’est pas une stratégie viable », a -t-il souligné.

Des attentes plus pessimistes

Dans le passé, les habitants des pays développés avaient plutôt bon espoir que leurs enfants allaient vivre dans de meilleurs conditions économiques qu’eux-mêmes. « Cet espoir a cependant fait place à une attitude de plus en plus pessimiste », a indiqué M. Shanmugaratnam. Ainsi, environ 71 % des Français estiment aujourd’hui que leurs enfants seront économiquement moins bien lotis qu’eux-mêmes. Ces attentes ne sont certes pas aussi pessimistes dans d’autres pays. « À l’échelle mondiale, 60 % des citoyens de tous les pays développés  pensent que la situation économique de leurs enfants sera moins bonne que la leur et uniquement 30 % prévoient une hausse du niveau de vie », a précisé M. Shanmugaratnam. Les citoyens s’attendent donc au plus à une stagnation de leur situation économique, ce qui correspond à la stagnation des revenus vécue par de nombreuses personnes. « Les lieux sans perspective économique le sont déjà depuis longtemps », a-t-il déclaré.

Le sentiment que des citoyens sont soit ignorés, soit inclus, mène, selon lui, à une classification en « nous » contre « eux » et à une perte de solidarité au sein de la société. Les résultats des récentes élections, par exemple aux États-Unis, au Royaume-Uni, mais aussi en Allemagne, ont confirmé cette tendance. Le comportement des électeurs a par ailleurs fait apparaître d’importantes disparités régionales. « L’utilisation de médias sociaux accentue encore la scission au sein des sociétés, étant donné que les citoyens consomment à l’intérieur de « bulles filtrantes » surtout des informations qui correspondent à leurs propres convictions », a expliqué M. Shanmugaratnam.

Renforcer la croissance inclusive

Dans son discours, M. Shanmugaratnam a décrit trois tendances qui renforcent la scission des sociétés et présenté trois stratégies pour contrer ces tendances. Ainsi, les gouvernements devraient promouvoir une croissance plus rapide de la productivité, afin que les revenus moyens augmentent également plus vite. À cette fin, les innovations ne devraient pas uniquement profiter aux grandes entreprises d’un secteur, mais elles devraient être étendues à l’ensemble de l’industrie. Pour ce faire, des partenariats entre les institutions de formation, les grandes entreprises d’un secteur et d’entreprises plus petites seraient nécessaires. « Les citoyens doivent être préparés aux métiers de l’avenir », a-t-il déclaré. « Il ne s’agit pas de permettre à de plus en plus de personnes de recevoir une formation académique, mais plutôt de transmettre des compétences essentielles sur le marché du travail », a souligné M. Shanmugaratnam.

La deuxième tendance est que les citoyens forment de plus en plus souvent des partenariats dans lesquels les partenaires se ressemblent quant à leur situation économique et leur degré de formation. Par ailleurs, les citoyens consacrent davantage de temps à leurs enfants. Ceux qui ont la possibilité d’assurer une bonne formation à leurs enfants leur apportent très tôt un avantage par rapport à d’autres enfants. Selon M. Shanmugaratnam, il conviendrait donc d’aider notamment les parents qui ne disposent pas de tels moyens dans les mêmes proportions. Il serait surtout nécessaire de renforcer l’éducation précoce des enfants. « Les deux premières années sont décisives pour le reste de la vie », a-t-il expliqué. M. Shanmugaratnam a en outre plaidé en faveur d’une planification urbaine sociale responsable. Des citoyens aux moyens financiers très disparates devraient ainsi vivre porte à porte, a-t-il indiqué. Des quartiers et des écoles regroupant des personnes issues de toutes les classes sociales pourraient contribuer à ce que chaque individu évolue au sein de la société.

« Il existe déjà de bons exemples de la mise en œuvre de ces stratégies », a déclaré M. Shanmugaratnam. Le système de formation duale en Allemagne pourrait être un modèle  à suivre par d’autres pays. Lui-même visite régulièrement des lieux, des entreprises et des institutions pour pouvoir en tirer des enseignements.

L’ensemble de la manifestation, y compris les paroles de bienvenue d’Otmar Issing, président du Center for Financial Studies (CFS) et du président de la Bundesbank, Jens Weidmann, ainsi que la session de questions-réponses est disponible sur vidéo.