Ambiance de renouveau en Europe – lignes directrices pour une Union monétaire capable de résister aux crises XIIIe conférence Ludwig-Erhard

1 Paroles de bienvenue

Cher Monsieur Clement,
Cher Monsieur Pellengahr,
Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie très sincèrement pour votre invitation et l’opportunité de tenir la XIIIe conférence Ludwig-Erhard.

Mon exposé tourne autour de l’Europe et de l’Union monétaire. Mais je vais commencer par une digression dans le domaine des sciences naturelles. 

Vous connaissez certainement la poix, cette substance goudronneuse qui  était utilisée autrefois pour fabriquer des torches ou pour assurer l’étanchéité des bateaux.

À température ambiante, la poix est dure comme de la pierre. Mais l’impression est trompeuse, la poix est liquide. Selon des calculs, la poix est cependant plus de 200 milliards de fois plus visqueuse que l’eau.

Une preuve que la poix est liquide est apportée par l’expérience de la goutte de poix qui a débuté il y a quatre-vingt-dix ans à l’université de Queensland à Brisbane. Un professeur versa de la poix chaude dans un entonnoir et la fit refroidir. Au bout de trois ans, il ouvrit l’entonnoir et attendit que la première goutte s’écoule, ce qui prit huit ans.

Depuis, neuf gouttes sont tombées de l’entonnoir. En effet, l’expérience court toujours et a été intégrée dans le livre Guinness des records en tant qu’ "expérience en laboratoire la plus longue du monde". D’autres prétendent en revanche qu’il s’agit de "l’expérience la plus ennuyeuse du monde" – mais cela dépend sans doute du point de vue de l’observateur.

Vous vous demandez certainement quel peut être le rapport entre une expérience physique de longue durée menée en Australie et en Europe, respectivement la zone euro. Il existe des parallèles entre les deux.

Cela commence déjà par le fait que certains considéraient l’Union monétaire lors de sa création comme une expérience, plus précisément une expérience condamnée à l’échec.

Les partisans et opposants de la monnaie commune étaient en quelque sorte en désaccord sur la question de savoir si l’Union monétaire serait dans sa substance solide ou liquide dans le sens de stable ou instable. La question de savoir si l’euro serait une monnaie forte ou faible était elle aussi controversée.

Grâce à l’expérience de la goutte de poix, nous savons qu’à température ambiante, la poix ne donne que l’Impression d’être une matière solide. Et après presque deux décennies d’Union monétaire, nous savons que la zone euro n’est pas aussi stable que ses partisans l’avaient espéré. Mais elle n’est toutefois pas non plus aussi instable que ne l’avait craint les sceptiques, et l’euro s’est avéré être une monnaie forte et à valeur stable.

Au cours de l’expérience, il a fallu attendre presque une décennie avant que la première goutte ne tombe. Dans la zone euro, la première crise sérieuse s’est produite dix ans après sa création. Ces deux faits révèlent que l’essence d’une chose ne se manifeste parfois qu’après un certain temps.

2 Nouvel élan dans le débat sur l’Europe

La crise dans la zone euro a fait apparaître des faiblesses dans la construction de l’Union monétaire. Le cadre réglementaire convenu dans le Traité de Maastricht ne fut pas en mesure d’empêcher la crise et ne prévoyait pas de mécanismes pour surmonter une crise.

La zone euro n’a pu être stabilisée qu’à l’aide de mesures ponctuelles, telles que des aides bilatérales pour les États au cœur de la crise.

Depuis, des innovations institutionnelles comme le Mécanisme européen de stabilité (MES), l’union bancaire ou la surveillance macroprudentielle ont renforcé la stabilité de la zone euro. Comparé à l’année 2010, au plus fort de la crise, la zone euro est aujourd’hui dans une situation bien plus favorable.

En d’autres termes : Un choc semblable à la crise grecque ne prendrait la zone euro plus aussi au dépourvu et ne s’étendrait plus aussi facilement sur d’autres pays.

Mais l’Union monétaire n’est pas encore durablement résiliente aux crises. Et c’est pourquoi pratiquement tous les experts sont d’accord que de nouvelles réformes institutionnelles sont nécessaires pour réduire sa vulnérabilité face aux crises.

Il est d’autant plus important de ne pas perdre l’élan qu’a pris le débat au cours des derniers mois, mais d’en profiter pour réaliser des progrès substantiels.

C’est la raison pour laquelle j’ai donné à mon exposé le titre "Ambiance de renouveau en Europe". Je voudrais clairement indiquer ce qui importe à mon avis dans cette réforme et formuler en quelque sorte des lignes directrices pour une Union monétaire capable de résister aux crises.

Cette ambiance de renouveau en Europe ne se limite pas à l’Union monétaire, mais englobe aussi le débat plus général sur l’orientation future de l’UE.

Ce débat a notamment été accéléré par la décision concernant le Brexit. La sortie de l’UE aura non seulement de graves conséquences pour le Royaume-Uni, mais aussi pour l’UE.

Cela se montre déjà au niveau des négociations entamées concernant un nouveau cadre financier. La difficulté particulière dans ces négociations réside dans le fait que d’une part sont débattues de nouvelles tâches pour l’UE, que d’autre part les pays sont peu enclins à abandonner des acquis et, troisièmement, qu’en raison de la perte du Royaume-Uni en tant que contributeur net, les dépenses dépasseront les recettes. Dans cette perspective, il ne faut pas s’attendre à un accord rapide.

Le Brexit est une décision politique. Il est difficile de trouver des arguments économiques, la sortie de l’UE appauvrira plutôt les deux parties, également et particulièrement le Royaume-Uni. Je regrette en tout cas profondément cette décision, d’autant plus qu’il manquera une voix pour favoriser des solutions basées sur l’économie de marché.

Mais le débat sur le Brexit revêt un point positif : il présente clairement les avantages d’être membre de l’UE et les coûts qu’entraîne une sortie. L’achèvement du marché intérieur et la création des quatre libertés fondamentales sont des acquis précieux dans le domaine de l’intégration économique de l’Europe qu’on ne devrait pas mettre en péril aussi facilement.

Un commerce libre offre aux consommateurs un choix plus attrayant. Il permet aux entreprises de se spécialiser et de profiter des économies d’échelle, ce qui augmente l’efficacité dans la production. Une concurrence accrue entraîne une baisse des prix des produits et favorise la diffusion de nouvelles idées et technologies. Le résultat est une meilleure force d’innovation et une hausse de la croissance.

L’appartenance au plus grand marché intérieur du monde offre par ailleurs une certaine protection dans une période de relations commerciales plus rudes telle que nous la vivons actuellement. Toutefois, la possibilité d’une guerre commerciale entre les grands espaces économiques constitue un scénario particulièrement inquiétant et un risque pour la reprise de l’économie mondiale, après que celle-ci a maintenant gagné en ampleur et en vigueur.

Il est donc nécessaire de profiter du temps restant jusqu’à l’entrée en vigueur des droits de douane et des contre-mesures annoncés pour éviter une aggravation de la situation. Le système multilatéral du commerce mondial devrait être renforcé et mis à profit pour résoudre des conflits.

Mis à part des avantages économiques, l’intégration européenne représente surtout un acquis politique. La valeur d’une voix commune de l’Europe et de la solidarité européenne se montre précisément dans une période de tensions internationales.

Dans la dispute concernant l’accueil et la répartition des réfugiés, les États membres de l’UE n’ont cependant guère fait preuve d’unité. La crise des réfugiés a fait apparaître des désaccords et des déficits cachés de l’UE qui allaient jusqu’à ouvertement mettre en question des processus établis et des droits et obligations réciproques.

Il est donc d’autant plus important de relancer les débats et de s’accorder sur une nouvelle définition de ce que, d’une part, l’Europe peut et doit faire, et d’autre part, compte tenu du principe de subsidiarité, dans quels domaines les États membres sont plus aptes à remplir certaines tâches.

Il existe en effet une série de domaines politiques dont la communautarisation promet une plus-value. Ainsi, le président français, Emmanuel Macron, a déclaré dans son discours tenu à la Sorbonne fin septembre 2017, qu’il pouvait s’imaginer une responsabilité commune par exemple en matière de défense, de protection des frontières extérieures ou de lutte contre le changement climatique.

Dans les négociations sur le futur budget de l’UE, la ligne directrice devrait donc être de se concentrer clairement sur des tâches présentant une plus-value européenne, donc celles qui ont pour l’Europe un caractère de bien public. La discussion sur la nature de ces tâches devrait être menée avant que le cadre de financement ne soit mis en place.

J’interprète la disposition de la nouvelle coalition gouvernementale à Berlin à augmenter les contributions de l’Allemagne également comme un signal d’entrer dans de telles discussions et pas seulement comme l’aveu que le Brexit nécessitera probablement une hausse des contributions.

De plus, les partis de la coalition veulent "durablement renforcer et réformer la zone euro, de manière à ce que l’euro puisse mieux résister aux crises mondiales".

Mais comment cet objectif peut-il être atteint et quelles lignes directrices devraient être respectées pour rendre l’Union monétaire capable de résister aux crises ? C’est ce point que je voudrais maintenant aborder plus en détail.

3 Lignes directrices pour l’Union monétaire

Il existe aujourd’hui une multitude de propositions et de concepts pour une union monétaire capable de résister aux crises : outre l’initiative européenne d’Emmanuel Macron, il convient bien entendu de citer les feuilles de route de la Commission européenne qui sont basées sur les rapports des présidents européens.

Il existe une prise de position de l’Italie, le concept d’un groupe d’économistes allemands et français ainsi qu’un concept élaboré par des économistes du FMI, dont les éléments essentiels ont été présentés par Christine Lagarde ici à Berlin il y a deux semaines.

La Bundesbank a elle aussi soumis au cours des dernières années des propositions de réformes institutionnelles visant à rendre la zone euro plus résistante aux crises. En tant que banque centrale, nous avons un grand intérêt à rendre la zone euro plus robuste, car autrement la politique monétaire risque de devoir intervenir chaque fois qu’une crise se produit. Plus elle le fait, plus le public et la politique s’y habituent et il devient plus difficile pour la politique monétaire de se concentrer sur son mandat, à savoir d’assurer la stabilité des prix. 

En effet, la stabilité monétaire était la promesse faite lors de la création de l’Union monétaire. Pour tenir cette promesse, le mandat de l’Eurosystème a été formulé de manière à clairement accorder la priorité à la stabilité des prix avant tout autre objectif. Par ailleurs, une très large indépendance a été accordée à la BCE et aux banques centrales nationales.

Les deux, à savoir la priorité à la stabilité des prix et l’indépendance, reposent sur de mauvaises expériences historiques avec des banques centrales dépendantes de la politique ou poursuivant encore d’autres objectifs, ainsi que sur des études économiques pertinentes. Et les deux ne devraient pas être remis en question.

Suite à la crise, nous devons bien entendu nous interroger sur les enseignements qui doivent en être tirés pour la politique monétaire. Qui par exemple aurait cru lors de l’introduction de l’euro que la politique monétaire atteindrait un jour le plancher en matière de taux d’intérêt et qu’elle y resterait pour une période prolongée ?

Mais cela ne doit pas avoir pour conséquence d’affaiblir l’objectif de stabilité des prix. C’est la raison pour laquelle je rejette des propositions visant à faire sciemment dépasser l’inflation le seuil de 2 pour cent pendant un certain temps ou à relever l’objectif d’inflation, comme cela a déjà été proposé par des économistes de renom.

La politique monétaire ne devrait non plus pas être surchargée avec d’autres objectifs tels que la garantie de la solvabilité des États ou des banques, ce qui par ailleurs, pour de bonnes raisons, ne serait pas compatible avec les traités de l’UE.

Actuellement, ni le mandat ni l’indépendance de la politique monétaire ne sont directement menacés. L’environnement peut cependant changer de manière à ce qu’il devienne plus difficile de remplir le mandat et de maintenir l’indépendance, car le succès d’une politique monétaire orientée sur la stabilité dépend aussi de la solidité des finances publiques des États membres et de systèmes financiers et structures économiques à la fois performants et résilients.

Or, la politique monétaire ne peut pas créer elle-même ces conditions. Elle est plutôt dépendante d’un comportement responsable de la part d’autres acteurs – et d’un cadre réglementaire qui le favorise. Et c’est ainsi que je reviens sur les propositions de réformes pour l’Union monétaire.

Mesdames, Messieurs,

Toutes les propositions sérieuses ont en commun qu’elles veulent rendre l’Union monétaire plus résistante et plus viable. Elles sont donc toutes favorables à l’Europe et, malgré la dispute thématique sur les avantages et les inconvénients des concepts respectifs, nous devrions reconnaître cette bonne intention et ne pas la contester mutuellement.

Ludwig Erhard, dont le nom a été donné à cette conférence, s’était également posé la question de ce qui faisait un "bon" Européen.

Pendant son mandat de ministre allemand de l’Économie, les mesures d’intégration ont aussi fait l’objet de débats controversés. Étant donné qu’il était, contrairement par exemple à Adenauer, sceptique vis-à-vis de nouvelles institutions européennes, il s’est vu reproché un comportement hostile à l’intégration et à l’Europe.

C’est pourquoi il écrivit en 1955 : "La question de savoir qui est un bon ou un mauvais Européen est (...) formulée de manière erronée. Je ne suis en tout cas pas disposé à me voir dénié ma conviction européenne parce que j’ai posé la question de manière différente et invité toutes les parties concernées de vérifier s’il n’y a qu’un seul chemin et qu’une seule méthode vers l’Europe ou si d’autres moyens ne menaient peut-être plus rapidement et plus efficacement au but." 

Dans la lutte pour de bonnes solutions pour l’Europe sont depuis toujours menés des débats controversés, et le fait que ces débats sont parfois passionnés est bien sûr très important. En effet, les réformes vont régulièrement de pair avec des décisions sur le caractère futur de l’Union économique et monétaire.

Les détails techniques des différentes propositions de réformes cachent parfois la vue sur un point essentiel qui différencie les propositions, à savoir le poids respectif accordé, d’une part, au partage des risques et à la responsabilité commune et, d’autre part, à la responsabilité individuelle, au respect des règles et aux efforts visant à éviter des incitations erronées.

En bref : Les uns mettent l’accent sur la solidarité, les autres sur la solidité.

Ce rapport de tension ressemble à celui que nous trouvons dans l’économie sociale de marché. Celle-ci unit l’objectif de l’équité sociale et la volonté de mettre à profit et d’exploiter à fond l’efficacité ou, comme disent les économistes, l’allocation efficace des ressources de l’économie de marché.

Dans ce contexte, il existe des corrélations complexes entre les deux éléments, l’équité sociale et les processus de marché, ils sont complémentaires et interdépendants.

L’équité sociale est nécessaire pour l’acceptation publique du système, mais aussi, en termes d’égalité des chances, pour pleinement exploiter le potentiel de croissance. En même temps, l’équité sociale est tributaire d’une importante génération de masse de répartition potentielle, et la redistribution peut miner les incitations à générer cette masse.

Le succès de notre économie sociale de marché provient notamment du fait qu’en fin de compte, il a toujours été possible de permettre aux deux éléments de faire valoir leurs droits.

Une union monétaire stable et forte nécessite à la fois solidarité et solidité. Dans ce contexte, la ligne directrice est l’unité entre responsabilité et action.

Dans de nombreuses propositions de réforme, le partage du risque budgétaire joue un rôle central, puisqu’il renforce la stabilité de la zone euro, et les effets incitatifs indésirables d’une responsabilité commune sont certes reconnus mais ont moins de poids.

Dans la dernière partie de mon exposé je voudrais, dans cette perspective, démontrer deux points à partir de quelques éléments de réforme : d’une part, les domaines dans lesquels, à mon avis, l’équilibre approprié risque d’être perdu, et d’autre part, l’aspect d’un cadre réglementaire cohérent et résistant aux crises qui, sans abandonner la solidarité, fait davantage confiance aux règles et aux principes de l’économie de marché.

Pour cela, je vais reprendre la proposition d’un mécanisme de stabilisation, les tâches du Mécanisme européen de stabilité (MES) et la garantie des dépôts européenne.

4 Un regard sur des propositions concrètes

4.1 Le Mécanisme de stabilité

L’objectif déclaré d’un mécanisme de stabilité, au choix également nommé capacité budgétaire, facilité de stabilisation ou budget de la zone euro, est d’empêcher de graves chocs, notamment spécifiques à des pays.

Dans le contrat de coalition sont par exemple approuvés des moyens budgétaires spécifiques pour stabiliser l’économie, ce qui va dans un sens similaire.

Dans le contexte du futur cadre financier de l’UE, j’ai déjà mentionné le critère d’une plus-value européenne et j’ai de sérieux doutes quant à la question de savoir si la facilité de stabilisation lui suffit.

Dans la mesure où les États membres disposent de finances publiques solides et respectent les règles budgétaires, ils ont une marge de manœuvre suffisante pour, en cas de choc externe, laisser agir les stabilisateurs automatiques ou donner des impulsions budgétaires – d’autant plus que la réglementation du marché financier après la crise a rendu moins probable des mesures de sauvetage pour les banques.

Par ailleurs, le MES est à disposition en cas de crise pour empêcher de graves répercussions négatives sur la zone euro résultant des problèmes financiers des États. Dans ce contexte, le MES apporte des aides financières assorties d’exigences de réformes.

La perspective d’aides sans conditions pourrait par contre diminuer les incitations des États membres à se prémunir eux-mêmes d’évolutions défavorables et à mener une politique orientée sur la stabilité.

Il est également douteux qu’il soit possible de différencier en temps réel entre chocs exogènes et crises d'origine interne, entre variations conjoncturelles et problèmes structurels. Mais ceci serait finalement la condition pour que les aides n’aient pas un effet procyclique parce qu’elles interviennent trop tard. Ce serait aussi la seule manière de tenir la promesse qu’un tel mécanisme n’établit pas de transferts durables entre les États membres.

À mon avis, beaucoup trop peu d’importance est accordée au fait que des formes privées du partage des risques peuvent également amortir des chocs spécifiques à un pays. Plus les entreprises reçoivent facilement des moyens financiers provenant d’autres pays de la zone euro, plus les conséquences négatives de chocs spécifiques à un pays seront réparties de manière uniforme sur l’espace monétaire.

Ce sont surtout les fonds propres qui constituent un excellent tampon dans ce contexte, étant donné que les capitaux empruntés, donc des emprunts et des crédits, doivent être remboursés intégralement, même en périodes économiques difficiles. La création envisagée d’une union européenne des marchés des capitaux offre dans ce contexte de grandes chances, raison pour laquelle je l’appuie expressément.

Si toutefois, pour des raisons politiques, un mécanisme de stabilisation budgétaire était quand même introduit, un fonds entièrement préfinancé, donc un fonds pour les mauvais jours classique ("Rainy Day Fund") serait clairement préférable à un fonds avec option d’endettement, tel qu’il a été proposé par le FMI.

Il est intéressant de noter qu’aux États-Unis les "Rainy Day Funds" – auxquels il est souvent fait référence dans les discussions au niveau européen – sont également préfinancés et ne prévoient pas de transferts entre les États.

4.2 MES

Un autre projet consiste à développer plus avant le MES.

Dans ce contexte, on parle aussi parfois d’un Fonds Monétaire Européen. J’estime toutefois que cela est trompeur, étant donné que les tâches et objectifs du MES ne sont justement pas de nature monétaire, mais de nature budgétaire et économique.

Le MES unit déjà – et je pense de manière convaincante – solidarité et solidité : il accorde, comme déjà mentionné, aux États membres des aides financières en cas de crise grave sous certaines conditions à remplir pour éliminer les causes spécifiques de la crise.

Il est proposé, d’une part, de transférer le traité intergouvernemental de MES en droit communautaire européen. Mais si ce pas devait avoir pour conséquence que le droit des États membres de participer aux décisions serait miné, il devrait être rejeté, étant donné que cela créerait un déséquilibre entre responsabilité et action – car ce sont les États membres qui sont responsables des risques engagés par le MES.

Le MES est aujourd’hui l’élément central dans la gestion des crises des dettes souveraines. Lui accorder à l’avenir un rôle plus important également dans la prévention des crises est tout à fait judicieux, car la compétence que la jeune institution a acquise en matière de gestion des crises serait aussi utile pour les prévenir.

Le MES pourrait ainsi jouer un rôle dans la surveillance budgétaire des États membres. La Commission a en effet tendance à interpréter les règles non pas de manière neutre mais en tenant compte aussi de considérations politiques.

Il serait alors au moins clair où se termine l’analyse objective et où commence le compromis politique. Le public pourrait mieux évaluer le respect des règles.

De plus, le MES pourrait avoir un rôle de coordination dans la restructuration ordonnée de dettes publiques. Dans ce contexte, la Bundesbank propose depuis longtemps que l'échéance de titres d'emprunt d'État devrait se prolonger automatiquement dès lors qu’un État membre dépose une demande d'aide auprès du MES.

Les anciens créanciers resteraient alors responsables même dans le cas d’un programme d’aide et pourraient encore être mis à contribution dans le cas d’une restructuration. Autrement qu’aujourd’hui, ils ne sont pas remboursés en cas de programme d’aide par des deniers publics des autres États membres. Cela devrait les inciter à investir avec davantage de conscience du risque.

De plus, le besoin de financement d’un pays se réduirait au déficit courant. Les aides accordées aux pays en crise pourraient être nettement moins élevées, ce qui renforcerait sensiblement la puissance du MES.

Les débats portent également sur la question de savoir si des moyens du MES devraient être utilisés en tant que garantie budgétaire de dernier ressort pour le fonds de résolution européen. Un tel élargissement de la responsabilité commune peut toutefois être envisagé au plus tôt lorsque – référence faite à la solidité – les dettes non encore remboursées figurant dans les bilans des banques auront été encore diminuées et que l’accumulation de nouveaux risques sera sous contrôle. Les réserves ressemblent ainsi à celles relatives à une création prématurée d’une garantie des dépôts européenne.

4.3 Garantie des dépôts européenne

Une garantie des dépôts européenne serait sans conteste une contribution à un système financier plus stable, étant donné que le risque d’une panique des déposants diminuerait et que l’union bancaire serait achevée. Cela est également souligné dans une étude publiée hier par la BCE.

Mais pour que l’unité entre responsabilité et action soit préservée, les points suivants doivent être respectés : un tel système doit être conçu de manière adéquate, par exemple en ce qui concerne le calcul des contributions. Et la séquence des étapes doit être appropriée.

Les risques nés sous responsabilité nationale ne devraient pas être communautarisés ultérieurement. Et plus on avance dans la diminution des risques ex ante, moins le rôle des effets de redistribution ex post est important.

Parmi les risques existants figurent par exemple les stocks de crédits douteux inscrits dans les bilans des banques. Ainsi, le ratio moyen des crédits douteux en Europe a certes diminué d’environ un tiers depuis 2014, mais dans certains pays ce ratio demeure encore très élevé et considérablement au-dessus du niveau d’avant la crise.

Les stocks de titres d’emprunt d'État dans les bilans des banques, qui en raison d’une dérogation réglementaire ne sont pas ou que faiblement couverts par des fonds propres et dont le montant est illimité, posent également des problèmes.

Avant la création d’une garantie des dépôts, ces risques de défaut des titres souverains figurant dans les bilans des banques devraient être réduits afin que le système de garantie n’assume pas indirectement une responsabilité. La Bundesbank demande par conséquent depuis longtemps une fin du traitement privilégié des titres d’emprunt d'État.

Une couverture par des fonds propres adéquate aux risques et un plafond pour les prêts accordés aux États ferait en sorte que les banques pourraient mieux supporter une restructuration de dettes souveraines sans se retrouver en difficultés. Cela réduirait aussi le besoin en soutiens budgétaires et soulagerait la politique monétaire.

La fonction disciplinante des marchés financiers serait renforcée si les restructurations d’États membres surendettés étaient plus réalistes et que la règle du "no bailout" du Traité de Maastricht devenait plus crédible. Le manque de crédibilité actuel de cette clause de non-responsabilité réciproque était un des principaux points faibles du cadre réglementaire en vigueur et doit être supprimé.

5 Conclusion

Mesdames, Messieurs, avant de conclure je voudrais résumer les lignes directrices pour une union monétaire capable de  résister aux crises.

  • L’Union européenne devrait se concentrer et employer ses moyens davantage sur les tâches qui ont une plus-value européenne.

  • L’objectif principal de la politique monétaire, à savoir la stabilité des prix, ne doit pas être remis en question. Cela signifie aussi qu’il faut assurer des conditions-cadres institutionnelles et économiques au sein desquelles l’Eurosystème peut bien remplir son mandat.

  • Une union monétaire stable nécessite à la fois solidarité et solidité. L’unité entre action et responsabilité doit être garantie de manière correcte dans les différentes parties du cadre réglementaire de l’Union monétaire.

Au début de mon exposé, je vous ai parlé d’une expérience qui analyse l’état physique de la poix et ai tiré une analogie avec la stabilité de l’Union monétaire.  

Les analogies sont parfois utiles, mais on ne doit pas trop les exagérer, d’autant plus qu’il existe souvent d’importantes différences.

Une de ces différences est que les propriétés physiques de la poix ne peuvent pas être modifiées : la poix est un liquide extrêmement visqueux, et cela restera ainsi.

L’Union monétaire est une structure sociale, son degré de stabilité n’est pas une constante de la nature, mais découle de processus économiques et de conditions-cadres complexes.

La politique peut façonner l’état physique de la zone euro.

J’espère avoir pu vous donner quelques pistes de réflexion sur la manière dont l’Union monétaire peut être renforcée. Et j’espère que l’ambiance de renouveau en Europe sera mise à profit pour entamer des réformes qui rendront l’Europe et son Union monétaire plus robustes.

Je vous remercie de votre attention.