Déclaration liminaire à l’occasion de la conférence de presse sur le bilan 2020

1 Paroles de bienvenue

Mesdames, Messieurs,

Je vous souhaite la bienvenue à notre conférence de presse sur le bilan.

L’écrivain et politicien français, André Malraux, aurait un jour prononcé les paroles suivantes : « Celui qui veut lire dans le futur doit feuilleter dans le passé. »

Aujourd’hui, nous vous offrons la possibilité de feuilleter dans notre rapport de l’exercice et de laisser passer en revue les événements de l’année écoulée. Mais je voudrais aussi – comme d’habitude – porter mon regard sur l’avenir.

Je vais donc tout d’abord esquisser les évolutions actuelles en matière de conjoncture et de politique monétaire et prononcer quelques mots sur l’évaluation de la stratégie de politique monétaire de l’Eurosystème. J’aborderai par la suite brièvement deux défis à long terme, à savoir la protection du climat et la démographie. Ensuite, je me pencherai sur nos comptes annuels 2019.

Mais venons-en tout d’abord à la conjoncture.

2 La conjoncture actuelle

La croissance de l’économie mondiale s’est considérablement contractée au cours de l’année passée. Elle a été freinée par des problèmes dans différents pays émergents, mais aussi par les conflits dans la politique commerciale internationale. L’aggravation du conflit commercial entre les États-Unis et la Chine au cours de l’été a grevé le commerce mondial de droits de douane supplémentaires. De plus, les tensions de politique commerciale ont créé un climat d’incertitude sur les marchés financiers.[1] Cela devrait avoir freiné les investissements et porté préjudice à la conjoncture mondiale.

Certes, la conclusion d’un premier accord dans le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine a dans un premier temps éloigné le danger d’une nouvelle escalade. Un Brexit « dur » a également été évité. Toutefois, de nombreuses incertitudes perdurent. Ainsi, les futures relations commerciales entre le Royaume-Uni et l’UE ne sont pas encore réglées. Il existe également des questions en suspens en ce qui concerne le commerce transatlantique, et le système commercial multilatéral fondé sur des règles repose sur des bases fragiles. L’incertitude géopolitique demeure elle aussi importante. Elle part principalement du Moyen-Orient.

À cela s’ajoute un nouveau facteur de risque. Je parle du coronavirus. L’épidémie en Chine a déjà causé de nombreux décès. La souffrance humaine place les dégâts économiques à l’arrière-plan.

Nous savons que l’épidémie même et les efforts visant à l’endiguer altèrent considérablement la vie économique en Chine. Cela devrait faire baisser la performance économique de la Chine au premier trimestre et également se faire nettement ressentir au niveau de la croissance mondiale, étant donné que les échanges avec la Chine représentent aujourd’hui près d’un cinquième du commerce mondial.

D’autres pays pourraient être frappés, par exemple en raison d’une forte baisse de la demande chinoise en biens et services – y compris celle des touristes chinois – ou d’une interruption de chaînes de valeur mondiales. La vie économique en Chine devrait certes se normaliser rapidement une fois vaincue l’épidémie. Mais un autre danger réside dans la propagation du nouveau virus à d’autres pays.

À brève échéance, la propagation du coronavirus représente également pour l’économie allemande un risque supplémentaire. D’après les informations actuelles, je m’attends à ce que ce risque se matérialise en partie.

Dans certains pays se multiplient les annonces de cas de contagion et des perturbations directes de l’économie s’y font déjà ressentir. Parmi ces pays figurent actuellement surtout la Corée du Sud et l’Italie.

Cela devrait également s’étendre à l'économie allemande, par exemple sous forme d’un recul de la demande en biens, de diminution du nombre de touristes ou des difficultés de livraison de produits intermédiaires importants. L’ampleur de cet effet ne peut actuellement pas être évaluée sérieusement. Il apparaîtra vraisemblablement qu’avec un certain retard. Si une épidémie devait apparaître en Allemagne, il faudrait s’attendre non seulement à ces effets, mais aussi à des conséquences économiques directes.

En février, le climat dans l’économie allemande n’était selon des sondages guère affecté par les effets du coronavirus. Et jusqu’à récemment, l’évolution macroéconomique semblait être conforme à nos prévisions de décembre dernier.

Comme prévu à l’époque, l'économie allemande n’a pas progressé au cours du dernier trimestre 2019. En effet, le ralentissement dans l’industrie exportatrice s’est maintenu et la consommation des ménages, jusqu’alors soutenue, a marqué une pause. Dans la moyenne annuelle de 2019, la croissance de l'économie allemande n’a atteint qu’environ 0,5 pour cent. Selon le pronostic de la Bundesbank du mois de décembre dernier (après correction des effets de calendrier), son taux de croissance devrait se maintenir en 2020 à un niveau tout aussi faible.

Cette prévision était liée à l’attente que les facteurs défavorables à la croissance issus de l’environnement international diminueraient dans le courant de l’année et que l'économie allemande surmonterait ainsi sa phase de faiblesse. Si l’on part maintenant d’un effet atténuant supplémentaire sur la conjoncture du premier semestre 2020 en raison de l’épidémie de virus, le second semestre pourrait connaître un mouvement inverse. Dans l’ensemble, la croissance économique allemande pourrait être un peu plus faible cette année que ne l’avaient prévu nos experts en décembre. De tels énoncés sont toutefois actuellement liés à une grande incertitude.

L'économie allemande reçoit cette année un soutien important de la situation toujours bonne sur le marché du travail, des conditions de financement très favorables et d’une augmentation des dépenses publiques. L’assouplissement de la politique budgétaire devrait cette année atteindre un volume de 0,75% de la performance économique et pourrait ainsi faire progresser la croissance d’un demi-point de pourcentage.

Dans la zone euro, la conjoncture a suivi une évolution similaire à celle en Allemagne, mais avec une faiblesse moins marquée. Ainsi, la performance économique de la zone euro a augmenté en 2019 de 1,2 %. Pour cette année, la Commission européenne, par exemple, a prévu une croissance modérée similaire. Mais ces prévisions sont certainement elles aussi liées à une incertitude plus élevée. Comme vous le savez, les services de la BCE sont en train d’élaborer de nouvelles projections. Je ne voudrais pas les anticiper ici.

3 Politique monétaire

En raison de la croissance modérée, la hausse des prix dans la zone euro ne devrait que progressivement se renforcer. Le Conseil des gouverneurs de la BCE a réagi au léger fléchissement de l’inflation au cours de l’été par toute une série de mesures de politique monétaire. J’estime qu’il était approprié de légèrement abaissé le taux de la facilité de dépôt. Mais ma critique vis-à-vis du volume du paquet adopté est connue.

Avec ses décisions de septembre, le Conseil des gouverneurs a aussi clairement signalé que cela prendra encore un certain temps jusqu’à une première hausse des taux directeurs. Des enquêtes menées en janvier font effectivement apparaître que les acteurs des marchés ne s’attendent pas à une hausse du taux de la facilité de dépôt avant 2022. Des récents indicateurs de marché semblent signaler que l’incertitude à ce sujet a fortement augmenté dans le contexte des effets possibles du coronavirus.

Il est indéniable que le soutien par une politique monétaire accommodante est nécessaire pour rapprocher le taux d'inflation de notre objectif. D’autre part, il est clair pour moi que le bas niveau actuel des taux directeurs ne peut durer indéfiniment. Le Conseil des gouverneurs de la BCE ne doit pas perdre de vue la sortie de la politique monétaire accommodante, car celle-ci comporte également des risques et des effets secondaires.

Un aspect qui n’est parfois pas suffisamment pris en compte est celui de l’économie réelle. Des études antérieures ont fait apparaître que l’allocation erronée de capitaux dans des pays d’Europe du sud a augmenté depuis le début des années 2000.[2] Une récente étude menée par des collègues néerlandais indique maintenant cela également pour notre pays voisin.[3] Selon cette étude, les entreprises à faible productivité recevraient quasiment une subvention sur le capital et produiraient donc davantage qu’il en faut. Cela freine la productivité de l’économie dans son ensemble.

D’autres travaux se penchent sur la manière dont des crédits peu chers peuvent contribuer à maintenir des entreprises sur le marché qui en seraient autrement expulsées[4]. Cela peut mener à des capacités excédentaires et exercer une pression à la baisse sur les prix. Une récente étude parvient à la conclusion qu’un tel canal pourrait être pertinent pour l’Europe.[5]

L’environnement de taux bas peut créer des incitations qui contribuent à ce que les entreprises improductives se maintiennent sur le marché. Un lien de causalité n’est cependant pas encore suffisamment prouvé. C’est pourquoi il s’agit pour moi jusqu’à présent d’un risque.

En ce qui concerne l'Allemagne, une étude de la Bundesbank est parvenue il y a quelque temps à la conclusion que l’importance d’entreprises peu productives et peu concurrentielles qui devraient en fait disparaître du marché était faible et n’avait pas augmenté dans l’environnement de taux bas qui prévaut depuis quelques années.[6] Selon nos experts, cette évaluation est toujours valable.

4 Stratégie en matière de politique monétaire

Indépendamment des questions concernant l’orientation de la politique monétaire, le Conseil des gouverneurs de la BCE doit également traiter d’autres questions au cours de cette année. Il procède en effet à une évaluation de sa stratégie de politique monétaire. Le coup d’envoi a été donné il y a environ un mois.

Ces dernières années, la Bundesbank a déjà intensifié ses contacts avec la population et élaboré différents formats à cette fin. Les citoyens sont désormais invités à s’exprimer sur notre site web sur l’évaluation de la stratégie de politique monétaire.

En réalité, il ne s’agit que d’une question : comment pouvons-nous remplir au mieux notre mandat, à savoir d’assurer la stabilité des prix pour les citoyens dans la zone euro ?

Dans le cadre de l’évaluation de la stratégie, le Conseil des gouverneurs ne doit pas négliger la vue d’ensemble. En effet, tout comme dans une mosaïque, les différentes pierres doivent s’assembler pour former un ensemble cohérent. Nous ne devrions pas évaluer leur pertinence de manière isolée. Je voudrais maintenant aborder plus en détail certains éléments de notre stratégie et également présenter des corrélations existantes.

Cela commence avec la définition de notre objectif. Jusqu'à présent, le Conseil des gouverneurs de la BCE entend par stabilité des prix des taux d'inflation situés entre zéro et 2 %. Dans le cadre de cette définition, il s’est fixé pour objectif à moyen terme un taux inférieur à, mais proche de 2 % pour la zone euro. C’est ce qu’a clairement établi le Conseil des gouverneurs après la dernière évaluation de la stratégie en 2003. Une raison essentielle était de créer un écart avec les taux nuls et de réduire ainsi le danger d’une déflation.

La différenciation entre notre définition de la stabilité des prix et l'objectif de politique monétaire plus concret constitue sans aucun doute un défi pour notre communication. Même de nombreux experts ne sont pas pleinement conscients de la différence. Et parfois il est insinué que l'Eurosystème a purement et simplement un objectif d’inflation de 2 %. Or, cela n’est pas le cas.

À présent, de plus en plus de voix se font entendre pour réclamer un relèvement de l’objectif d’inflation recherché. Cette revendication se base sur l’expérience des dernières années au cours desquelles la politique de taux d’intérêt a de plus en plus touché à ses limites. Nombreux sont ceux qui y voient un problème fondamental à plus long terme. En effet, de nombreuses études montrent que les taux d’intérêt réels ont considérablement baissé aux cours des dernières décennies.[7] La marge de manœuvre de la politique de taux d’intérêt pourrait donc avoir durablement diminué.

Un objectif d’inflation plus élevé crédible entraînerait des anticipations d'inflation plus élevées et augmenterait ainsi le niveau du taux d'intérêt nominal, affirment les défenseurs. Il pourrait donc être approprié d’augmenter le taux d'inflation recherché de manière à compenser le recul des taux d'intérêt réels. Et cela correspondrait à une forte hausse. L’écart avec la limite inférieure des taux directeurs serait alors de nouveau plus grand et offrirait davantage de marge de manœuvre pour des baisses des taux d’intérêts. D’autres effets doivent toutefois être pris en compte.[8]

Premièrement, le gain en capacité d’agir pourrait être plus petit que prévu. Lorsque des entreprises adaptent leur formation de prix, le rapport entre la demande macroéconomique et l’inflation pourrait s’affaiblir. La marge de manœuvre serait certes plus grande, mais l’effet sur l’inflation serait moindre avec chaque baisse du taux. Deuxièmement, il y a le danger que les anticipations d'inflation ne peuvent être ancrées. Troisièmement, une inflation plus élevée entraîne des coûts, par exemple par la distorsion des signaux de prix. Des effets de répartition indésirables pourraient également être une conséquence.

Je pense donc qu’une hausse sensible de l’objectif d’inflation n’est pas une bonne idée. Ce n’est souvent qu’une faible augmentation qui est suggérée, mais souvent est également proposée une accentuation de la symétrie. Son effet est similaire à un objectif d’inflation plus élevé.

D’une manière ou d’une autre, cela augmenterait encore la pression d’agir en matière de politique monétaire. Et cela en une période où les effets des mesures de politique monétaire sur l’économie réelle peuvent diminuer, alors que les risques et les effets secondaires augmentent.

Pensez à l’influence des taux d’intérêt bas sur les banques. Une nouvelle baisse des taux d’intérêt profite aux banques à brève échéance, notamment par des effets de valorisation, donc par une hausse des prix d’actifs. Mais plus l’environnement de taux d’intérêt bas perdure, plus leurs opérations de crédit et de dépôt deviennent difficiles.[9] Cela peut entraver leur fonction d’intermédiation – et la transmission de politique monétaire.

Par ailleurs, il devrait exister un taux d’intérêt négatif, à partir duquel d’autres baisses des taux d’intérêt ne relancent plus l’octroi de crédits des banques. Selon nos estimations, la politique monétaire dans la zone euro n’a pas encore atteint ce taux d’inversion. C’est ce qu’a également souligné récemment Christine Lagarde.[10]

Il est clair que nous ne devrions pas orienter notre stratégie sur les conséquences immédiates. Elle doit nous apporter une orientation à long terme. Toutefois, nous ne devrions pas non plus être aveugles vis-à-vis des conséquences, mais les comprendre.

Dans l’ensemble, je m’engage surtout à ce que cet objectif soit formulé de manière compréhensible, qu’elle soit axée sur le futur et réaliste.[11]

Nous devrions, à l’avenir, encore davantage axer notre communication en matière de politique monétaire sur un large public. L’objectif devrait être défini de manière à ce que les citoyens comprennent la définition et l’utilité de notre objectif. Pour cela, l’objectif doit aussi correspondre à leur réalité quotidienne. C’est ce que j’entends par l’attribut « compréhensible ».

Par ailleurs, il est important que la politique monétaire assure à moyen terme la stabilité des prix et qu’elle soit axée, comme jusqu'à présent, sur le futur. Une raison pour cela est qu’en général un certain temps est nécessaire jusqu’à ce que les mesures de politique monétaire exercent leur plein effet. Voilà donc pourquoi « axée sur le futur ».

Et nous devrions également indiquer par la détermination de notre objectif que nous ne pouvons pas régler l’inflation jusqu’aux derniers chiffres après la virgule. C’est ce que j’entends par « réaliste ».

Je pense que notre approche actuelle remplit plutôt bien les trois critères que je viens d’énoncer.

Un objectif ainsi défini apporte à la politique monétaire par son orientation à moyen terme la flexibilité nécessaire. Nous pouvons alors attendre s’il y a de bonnes raisons pour cela et ne devons pas réagir avec précipitation à chaque modification des données avant que ne se dessine une image d’ensemble fiable.

Un objectif ainsi défini contribue aussi essentiellement à ancrer les anticipations d'inflation. Les citoyens n’attachent leurs attentes à l’objectif d’inflation visé que s’ils comprennent notre formulation, obtiennent une orientation pour l’avenir et nous croient que nous pouvons et voulons atteindre notre objectif.

Un objectif ainsi défini offre finalement aussi la possibilité de tenir compte des risques à long terme pour la stabilité des prix. En effet, une politique monétaire accommodante prolongée peut aller de pair avec des risques pour la stabilité financière. La crise financière nous a enseigné que des distorsions sur les marchés financiers pouvaient également avoir un impact sur l'économie et la stabilité des prix.

La définition de l’objectif de politique monétaire n’est cependant pas l’unique élément de notre stratégie qu’il convient d’évaluer. Pour pouvoir assurer la stabilité des prix, le taux d'inflation dans la zone euro doit être correctement saisi.

La référence est l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH). Son panier comporte certes les loyers, mais les prix pour habiter son propre bien immobilier ne sont pas pris en compte. S’ils étaient saisis, ces prix auraient un poids important. Nous devrions donc envisager d’introduire dans l’IPCH les logements occupés par leur propriétaire.

Et nous devrions examiner quelles autres erreurs de mesure sont encore importantes. De telles erreurs de mesure étaient également une raison pour le niveau actuel de notre taux d'inflation visé.[12] Mais depuis la formulation de cette définition en 2003, la statistique des prix a fait quelques progrès. En Allemagne, par exemple, l’Office fédéral de la statistique a davantage recours à des méthodes hédoniques pour tenir compte des variations de qualité dans la statistique des prix, notamment pour pouvoir refléter des modifications de prix dans le domaine des produits technologiques à évolution rapide, comme les smartphones ou les imprimantes.[13]

Pour pouvoir assurer la stabilité des prix, la boîte à outils de la politique monétaire doit par ailleurs contenir des instruments appropriés, et ce même lorsque les taux directeurs sont déjà à un bas niveau.

Je pense que pour le choix des instruments, nous devrions nous laisser guider par deux principes.[14] Premièrement, les instruments doivent efficacement influencer l’évolution du niveau des prix. C’est cela qui est essentiel. Deuxièmement, des effets secondaires indésirables devraient être minimisés autant que possible.

C’est pourquoi nous devrions respecter un ordre clair dans l’utilisation des instruments. En effet, les mesures extraordinaires des dernières années, en particulier, devraient être différentes de la politique de taux d’intérêt traditionnelle en ce qui concerne le rapport coût-efficacité. J’ai surtout souligné à maintes reprises les risques liés aux achats importants de titres d'emprunt publics.

Mais nous avons aussi acquis des expériences positives avec des nouveaux instruments.[15] Entre autres une étude de la Bundesbank démontre qu’au cours des dernières années, la Forward guidance a dirigé avec succès les taux d'intérêt à long terme vers la direction souhaitée par le Conseil des gouverneurs de la BCE et qu’elle devrait ainsi avoir contribué à soutenir la conjoncture dans la zone euro.[16]

5 Le changement climatique et les banques centrales

Mesdames, Messieurs,

Dans le cadre de l’évaluation de la stratégie, nous traiterons également la question de savoir quel devrait être le rôle de la banque centrale dans la lutte contre le changement climatique. Le changement et la politique climatiques focalisent ces derniers temps davantage l’attention du public.

Une chose est claire : la politique climatique est affaire des gouvernements et parlements élus. Ils disposent des instruments adéquats, tels qu’un impôt sur les émissions de CO2 ou un commerce des émissions. Et ils disposent de la légitimation démocratique nécessaire pour utiliser ces instruments.

Mais il est tout aussi clair pour moi que les banques centrales peuvent et devraient faire davantage en matière de climat.

Le changement et la politique climatiques peuvent avoir des effets économiques importants pour le maintien de la stabilité des prix. La politique monétaire doit en tenir compte dans ses analyses. Dans ce domaine, les banques centrales en sont souvent encore au début. C’est pourquoi nous devons tout d’abord mieux comprendre dans quelle mesure le changement climatique et les mesures de protection influencent l'économie et le système financier.

Les deux facteurs, le changement climatique et le passage à une économie à plus faibles émissions de carbone, peuvent entraîner des risques non seulement pour les entreprises de l'économie réelle, mais aussi pour le secteur financier. Ces risques financiers liés au changement climatique doivent désormais être pris en compte.

Dans un premier temps, il appartient aux établissements de crédit d’intégrer de tels risques dans leur gestion des risques. Les banques centrales, quant à elles, doivent assurer dans leur rôle de surveillants bancaires et de gardien de la stabilité financière, que cela se produise de manière appropriée.

Mais nous ne devrions pas nous contenter de pointer les autres du doigt. Nous devrions également répondre aux exigences que nous avons vis-à-vis des établissements de crédit. Cela vaut d’autant plus qu’en ce qui concerne nos placements financiers, nous pouvons être soumis à des risques financiers tout comme les banques commerciales.

Je suis persuadé que les banques centrales devraient elles aussi prendre en compte dans leur gestion de risques les risques financiers liés au climat.[17] Et cela devrait également valoir pour nos opérations de politique monétaire et nos portefeuilles de titres.

J’estime toutefois qu’une préférence à des achats de titres « verts » dans le cadre d’un « Green QE » n’est toutefois pas une solution. En ce qui concerne l’achat d’actifs, il importe de maintenir notre approche orientée sur des principes d’économie de marché, à savoir celle de la neutralité du marché.

Mais cela implique aussi que l'Eurosystème ne prend que des risques de défaut limités. L’Eurosystème a donc un intérêt à ce que les risques financiers issus du changement climatique soient présentés de manière transparente. C’est à cet endroit qu’il convient d’agir.

Une approche appropriée pourrait être que dans le cadre de la politique monétaire, nous achetions et acceptions en tant que sûretés uniquement des titres dont les émetteurs répondent à certaines obligations de reporting concernant le climat. Avec cette mesure, l'Eurosystème soutiendrait aussi des initiatives de transparence actuelles.

Nous pourrions par ailleurs examiner si la prise en compte dans les notations de risques financiers liés au changement climatique est un critère approprié lorsqu’il s’agit d’acquérir des titres ou d’accepter des sûretés pour des opérations de refinancement de politique monétaire. Avec un tel critère, nous pourrions promouvoir des normes correspondantes auprès des agences de notation et des banques.

Ces deux mesures – des normes de transparence pour les émetteurs et des exigences à prendre en compte lors de notations – pourraient nous aider en tant que banque centrale, mais aussi d’autres acteurs, à tenir compte des risques financiers liés au changement climatique. Correctement définies, elles pourraient également au-delà des programmes d’achats dans le cadre de la politique monétaire créer davantage de transparence et améliorer les informations concernant les risques climatiques sur le marché des capitaux.

Avec de telles mesures, les banques centrales pourraient agir en tant que catalyseur pour un système financier « plus vert » et soutenir la politique climatique de l’UE et de ses États membres sans risquer d’entrer en conflit avec leurs propres tâches.

6 Finances publiques

À la protection du climat s’ajoute encore un autre grand défi, à savoir le changement démographique. Celui-ci freinera probablement de manière considérable la croissance de l'économie allemande. Des mesures qui renforcent les bases de la croissance sont donc d’autant plus importantes.

L’infrastructure publique en est certainement un pilier essentiel. Elle constitue toujours pour l'Allemagne un avantage concurrentiel. Mais il existe aussi des points faibles auxquels il faudrait remédier. Il s’agit par exemple d’investissements dans les réseaux de transport. En outre, les objectifs de politique climatique pourraient jouer un rôle de plus en plus important. D’autres domaines de rattrapage existent par exemple en ce qui concerne l’éducation ou au niveau des places d’accueil pour enfants.

Mais il ne s’agit pas toujours uniquement de l’État en tant qu’investisseur. Dans des domaines tels que la digitalisation ou l’approvisionnement en énergie, l’État doit créer un cadre approprié pour les investissements privés. Des investissements publics supplémentaires ont souvent déjà été proposés. Mais il serait souhaitable de remédier aux points faibles plus rapidement. Dans ce contexte, les capacités de construction exercent actuellement un effet de frein. À cela s’ajoutent de longues procédures jusqu’à la mise en construction.

En tout cas, une marge de manœuvre financière insuffisante ou le frein à l’endettement ne représentent actuellement pas un obstacle à une augmentation des investissements publics. L’État fédéral dispose actuellement d’une marge budgétaire. Ses comptes ont de nouveau affiché de très bons résultats et il détient d’importantes réserves.

La politique financière est toutefois expansive. Cela a pour conséquence une diminution des marges de manœuvre budgétaires. Et il existe de nombreux risques, par exemple en ce qui concerne la question de savoir si l’impôt de solidarité pourra continuer d’être prélevé.

Le changement démographique apporte d’importantes charges supplémentaires qui se feront sentir surtout à partir du milieu de la décennie. Lorsque les baby-boomers prendront leur retraite dans les prochaines années, non seulement les finances de l’assurance retraite, mais aussi le budget fédéral seront soumis à une importante pression. LeTrésor public finance plus d’un quart des revenus de l’assurance vieillesse. Les moyens fédéraux s’orientent en grande partie sur le taux de cotisation qui augmentera vraisemblablement de manière considérable à partir de 2025.

Nous ne devrions donc pas perdre de vue l'objectif de finances publiques solides. Dans ce contexte, je voudrais finalement aborder nos comptes annuels.

7 Comptes annuels

Le compte de pertes et profits pour l’exercice 2019 clôt avec un excédent annuel de 5,825 milliards d’euros. Après dissolution de réserves (d’un montant de 26 millions d’euros), le bénéfice distribuable s’élève à 5,851 milliards d’euros, le plus élevé depuis 2008.

Nous avons viré le montant intégral du bénéfice au Trésor public. Conformément au plan budgétaire pour l’année 2020, un montant de 2,5 milliards d’euros doit être affecté au financement du budget. Le montant restant est destiné au remboursement de la dette.

La forte hausse de l’excédent annuel est principalement imputable à une provision pour risques plus faible. Dans les années de 2016 à 2018, nous avions augmenté la provision pour risques de 4,3 milliards d’euros au total à 17,9 milliards d’euros en raison des risques de variation des taux d’intérêt plus élevés. Cette augmentation était achevée à la fin 2018.

Des risques de variation des taux d’intérêt s’étaient formés surtout en raison des importantes différences concernant les échéances dans notre bilan. À l’actif, nous avons un stock élevé de placements en titres à faible taux d’intérêt avec en partie une durée résiduelle très longue, au passif par contre surtout des dépôts à court terme.

En 2019, la situation a quelque peu changé : par rapport à l’année précédente, les risques ont légèrement diminué. Ainsi, les opérations de refinancement à plus long terme ciblées à taux d’intérêt fixe (GLRG-II) viennent pour la plupart à échéance en 2020. Les opérations suivantes (GLRG-III) ont été conclues à des taux d’intérêt variables, en faveur desquels je m’étais engagé au Conseil des gouverneurs de la BCE. En conclusion, le poste d’intérêt ouvert a baissé, et le risque de variation des taux d’intérêt a diminué. Mais les risques de défaut dans notre bilan ont également reculé, notamment par des échéances de titres acquis dans le cadre du programme pour les marchés de titres.

Dans ce contexte, le Directoire a évalué le montant de la provision pour risques nécessaire pour l’année 2019. Outre la situation actuelle et prévisible en matière de risques de la banque, nous avons également pris en compte le potentiel de couverture des risques existant. En conclusion, nous avons réduit avec précaution la provision pour risques, à savoir de 1,5 milliard d’euros à 16,4 milliards d’euros.

Mais je voudrais encore relever une particularité de ces comptes annuels. En effet, pour la première fois depuis 2014, notre total du bilan a légèrement régressé. Ce recul était principalement imputable, à l’actif du bilan, aux retours de liquidités vers des pays européens. Le passif du bilan enregistre surtout une baisse des dépôts libellés en euros des autres déposants allemands et étrangers. Il s’agit là surtout de banques centrales étrangères.

Je donne maintenant la parole à M. Beermann qui, en tant que membre du Directoire responsable, vous expliquera nos comptes annuels plus en détail. Ensuite, vous aurez comme d’habitude la possibilité de poser des questions.

Je vous remercie.

Notes de bas de page:

  1. Deutsche Bundesbank (2020) Zu den Auswirkungen handelspolitischer Unsicherheit, Rapport mensuel, janvier 2020, p. 61-64.
  2. Gopinath, G., S. Kalemli-Özcan, L. Karabarbounis et C. Villegas-Sanchez (2017), Capital allocation and productivity in south Europe, Quarterly Journal of Economics, vol. 132, p. 1915-1967; ainsi que Gamberoni, E, C. Giordano et P. Lopez-Garcia (2016), Capital and labour (mis)allocation in the euro area: some stylized facts and determinants, Banque centrale européenne, document de travail, n°. 1981, novembre 2016.
  3. Bun, M. et J. de Winter (2019), Measuring trends and persistence in capital and labor misallocation, De Nederlandsche Bank, document de travail, n° 639.
  4. Acharya, V.V ., T. Eisert, C. Eufinger et C. Hirsch (2019), Whatever it takes: The real effects of unconventional monetary policy, Review of Financial Studies, vol. 32, p. 3366-3411; Andrews, D. et F. Petroulakis (2019), Breaking the shackles: zombie Firms, weak banks and depressed restructuring in Europe, Banque centrale européenne, document de travail n°. 2240; ainsi que Blattner, L., L. Farinha et F. Rebelo (2019), When losses turn into loans: the cost of undercapitalized banks, Banque centrale européenne, document de travail, n°. 2228.
  5. Acharya, V. V., M. Crosignani, T. Eisert et C. Eufinger (2019), Zombie Credit and (Dis-)Inflation: Evidence from Europe, New York University Stern School of Business, document de travail.
  6. Deutsche Bundesbank (2017), Zur Entstehung sogenannter Zombie-Unternehmen in Deutschland im Niedrigzinsumfeld, Rapport mensuel, décembre 2017, p. 37-40.
  7. Deutsche Bundesbank (2017), Zur Entwicklung des natürlichen Zinses, Rapport mensuel, octobre 2017, p. 29-44.
  8. Deutsche Bundesbank (2018), Zinsuntergrenze, angestrebte Inflationsrate und die Verankerung von Inflationserwartungen, Rapport mensuel, juin 2018 p. 31-52.
  9. Deutsche Bundesbank (2018), Die Bedeutung von Profitabilität und Eigenkapital der Banken für die Geldpolitik, Rapport mensuel, janvier 2018, p. 29-56.
  10. Banque centrale européenne (2019), transcription de la conférence de presse du Conseil des gouverneurs de la BCE relative à la politique monétaire, le 12 décembre 2019.
  11. Weidmann, J. (2019), Changement et continuité, Deutsche Bundesbank discours du 3 février 2020.
  12. Deutsche Bundesbank (2018), Weitere Gründe für die Wahl einer positiven Zielinflationsrate, Rapport mensuel, juin 2018, p. 34-36.
  13. Destatis (2020), Qualitätsbereinigung in der amtlichen Preisstatistik, https://www.destatis.de/DE/Themen/Wirtschaft/Preise/Verbraucherpreisindex/Methoden/Erlaeuterungen/qualitaetsbereinigung.html?nn=214056#doc131214bodyText8.
  14. Weidmann, J. (2018), De l’extraordinaire à la normale – Réflexions sur les futurs instruments de politique monétaire, Deutsche Bundesbank, discours du 16 novembre 2018.
  15. Weidmann, J. (2019), Ce que nous réserve le futur – avantages et limites de la forward guidance, Deutsche Bundesbank, discours du 22 novembre 2019.
  16. Geiger, F. und F. Schupp, (2018), With a little help from my friends: Survey-based derivation of euro area short rate expectations at the effective lower bound, document de discussion de la Deutsche Bundesbank, n°27/2018.
  17. Weidmann, J. (2019), Stabilité en tant que mission, Deutsche Bundesbank, discours du 28 novembre 2019.