Discours à l’occasion de l’introduction solennelle dans la fonction du président de la Bundesbank

1 Paroles de bienvenue

Cher Monsieur le Ministre Lindner,
chère Christine Lagarde,
cher Jens Weidmann,
chère Claudia Buch,
cher Monsieur Supplitt,
chers collègues devant vos écrans,
Mesdames, Messieurs,

Moi aussi, je vous souhaite la bienvenue et suis heureux que vous participiez à cette cérémonie virtuelle. Je suis profondément honoré de pouvoir m’adresser à vous en tant que nouveau président de la Bundesbank.

Je vous remercie, Monsieur Lindner, ainsi que tous les membres du gouvernement fédéral, pour la confiance dont vous me témoignez. Et je remercie les orateurs et oratrices précédents pour leurs aimables paroles et leurs vœux. Je tiens également à remercier mes collègues au sein du Directoire et dans l’ensemble de la Banque pour l’accueil chaleureux que vous m’avez réservé au cours des derniers jours.

2 Une rétrospective personnelle

Pour moi, c’est un peu un retour aux sources. Je connais de nombreux collègues à la Banque, et nombreux sont ceux qui me connaissent.

Vous l’avez déjà entendu : je reviens à l’institution dans laquelle j’ai passé une majeure partie de ma carrière professionnelle et qui m’a le plus profondément marqué.

J’ai œuvré dans différentes fonctions au sein de la Bundesbank, dans la Landeszentralbank de l’époque, au siège, dans la direction générale Marchés et finalement en tant que membre du Directoire.

Ce fut une période mouvementée. La Bundesbank devint une partie de l'Eurosystème et y trouva son rôle. Je ne voudrais pas cacher que la transition du deutsche mark vers l’euro ne fut pas facile pour la Bundesbank en tant qu’institution. Mais nous avons parcouru ce chemin avec engagement, tout en ayant toujours un objectif fixe, à savoir une monnaie stable pour la zone euro.

La Bundesbank ne s’attarde non plus pas sur des rétrospectives nostalgiques. Elle porte son regard vers l’avant et s’implique. Elle est une partie importante et compétente de l’Eurosystème, au sein duquel elle s’engage dans un souci de partenariat. Et elle y défend ses positions avec conviction, et je pense, de manière convaincante. C’est ainsi que j’ai vécu la Bundesbank. Et c’est ainsi que je compte poursuivre le travail.

J’apporte également dans ma nouvelle fonction l’expérience que j’ai acquise à la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) et la Banque des Règlements internationaux. Cette perspective différente fut instructive et utile. Mais la décision, en 2016, de quitter la Bundesbank pour joindre la KfW fut pour moi une décision difficile.

Jens Weidmann l’a bien dit : je fus et je suis un « banquier central avec corps et âme ». Ce métier ne m’a jamais lâché. C’est pourquoi je suis, d’une part, heureux de revenir à la Bundesbank en tant que président. Mais je regrette, d’autre part, que ce retour soit accompagné du départ de Jens Weidmann.

Car tu as été, cher Jens, un président fort dans une période turbulente. Je te remercie pour tes mérites au service de la Deutsche Bundesbank. Dans des discussions difficiles, tu as fait preuve de détermination et tu as été un politicien monétaire engagé. Tes points de vue ont toujours été basés sur une analyse pertinente et des arguments fondés. Tu as été un banquier central d’une haute réputation dans le monde entier – tant du point de vue professionnel que personnel.

Ta réputation est au moins tout aussi importante au sein de la Bundesbank elle-même. Plus que tout autre président avant toi, tu as promu le changement interne. J’ai moi-même été témoin de la manière dont tu as donné des impulsions positives à la Banque. La manière dont tu as ancré une culture moderne et ouverte. Et la manière dont tu as rencontré tous les agents – au siège, dans les administrations régionales et dans les succursales – avec respect.

3 Renforcer encore la coopération et mettre à profit la numérisation

Déjà à l’époque, j’ai soutenu cette approche par conviction, et je la poursuivrai en tant que président. Une coopération basée sur le respect et le partenariat au sein de la Bundesbank est pour moi la condition pour notre succès. C’est pour cela que je m’engagerai. Et les collègues peuvent compter sur mon engagement.

C’est avec plaisir que j’accepte votre offre, cher Monsieur Supplitt, et je me réjouis d’avance d’une coopération empreinte de confiance avec les représentations du personnel. C’est ensemble que nous pourrons le mieux relever les défis qui se présentent.

Je voudrais brièvement esquisser deux aspects.

D’une part, je suis persuadé que nous devrions encore davantage mettre à profit les possibilités offertes par la numérisation, et ce à de nombreux endroits au sein de la Banque. Nous allons poursuivre le changement numérique de la Banque. Mon objectif est une organisation interconnectée de manière numérique, qui est en mesure de s’adapter plus rapidement aux changements et qui sait exploiter résolument les potentiels des technologies naissantes.

D’autre part, je voudrais continuer à renforcer la culture d’ouverture et aussi de diversité à l’intérieur de la Banque. Car je suis persuadé que nous profitons de perspectives, d’enseignements, de compétences et de projets de vie différents. C’est pourquoi je tiens à promouvoir la diversité dans la Banque et saisir les chances qui en résultent.

4 Assurer la stabilité 

Grâce à l’engagement de ses agents, la Bundesbank a au cours de son histoire toujours su s’adapter à un environnement modifié. C’est ainsi qu’elle a rempli sa mission et conservé ses principes fondamentaux.

La stabilité constitue la mission et le noyau des activités de la Bundesbank. En font partie des prix stables, des banques stables, un système financier stable et un système de paiement stable – les opérations de paiement numériques tout comme l’approvisionnement fiable en espèces sûres. La stabilité n’est pas non plus en contradiction avec le changement et l’orientation vers le futur. En effet, l'économie et la société doivent reposer sur des fondations stables et fiables pour pouvoir se développer avec succès.

Nous faisons face aujourd'hui à une transformation profonde. La numérisation modifie la manière dont nous vivons et travaillons. La protection du climat nécessite de transformer l'économie. Et la pandémie pourrait encore accélérer certaines évolutions. Tous ces changements influent aussi sur nos tâches et la manière dont nous nous en acquittons. La Bundesbank doit et va y faire face.

Comme mes prédécesseurs, c’est à moi maintenant de trouver des réponses appropriées sur la base de la culture de stabilité bien établie. La Bundesbank doit être une institution moderne et efficace qui relève les défis du changement et met à profit les chances qu’il apporte.

4.1 Stabilité des prix

Notre objectif principal est clair : assurer la stabilité des prix pour les citoyens de la zone euro.

Au cours des derniers mois, les taux d'inflation ont fortement augmenté – à un niveau jamais enregistré depuis la création de l’Union monétaire. Dans la zone euro, les taux ont grimpé jusqu’à 5 pour cent, ils étaient même supérieurs en Allemagne. Les citoyens et citoyennes ont donc nettement moins d’argent dans leur portemonnaie. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent face à cette perte du pouvoir d’achat.

Il est vrai que les taux élevés sont également imputables à des effets exceptionnels qui expirent automatiquement. Mais ce n’est pas la seule raison. Et les perspectives à moyen terme en matière de prix sont particulièrement incertaines. Les prix pourraient certes augmenter à un rythme moins élevé que prévu dans les pronostics. Mais je perçois en ce moment plutôt le risque que le taux d'inflation   restera plus longtemps à un niveau plus haut que prévu actuellement. La politique monétaire doit en tout cas être vigilante.

Cela entraîne par conséquent une série de questions qui nous tourmente tous considérablement :

  • premièrement, à quel point les taux d'inflation élevés sont-ils persistants ?
  • Deuxièmement, l’orientation très expansionniste de la politique monétaire est-elle encore appropriée ? Dans l’affirmative, pendant combien de temps encore ?
  • Et troisièmement, comment devrions-nous gérer lors des décisions de politique monétaire l’incertitude actuellement élevée ? Comment par exemple mettre en balance différents scénarios de risques ?

Déjà au cours de mes années précédentes à la Bundesbank et dans l'Eurosystème, le fait d’aborder en particulier de telles situations complexes de manière ouverte et réfléchie, a fait ses preuves. Cela signifie de regarder de près les données et les analyses, de solliciter différents avis et de se forger sa propre opinion. Je compte rester fidèle à cette approche.

Pour cela, je me base sur la ligne actuelle de la Bundesbank : celle-ci a très tôt attiré l’attention sur les risques inflationnistes. Elle a également toujours insisté sur la nécessité que le programme d’achats d’urgence PEPP demeure étroitement lié à la pandémie. Et elle a mis en garde de ne pas fixer l’orientation très expansionniste de la politique monétaire pour une période trop longue et a appelé à se préserver des options d’action. En effet, malgré toute l’incertitude, il est clair que si la stabilité des prix le nécessite, le Conseil des gouverneurs de la BCE doit agir et adapter sa politique monétaire.

L’inflation entraîne non seulement des coûts économiques, mais aussi sociaux : les citoyens à faible revenu sont en général plus durement touchés par l’inflation, ne serait-ce parce qu’ils dépensent une plus grande partie de leurs revenus à des fins de consommation. La stabilité des prix promeut donc également la cohésion sociale.

Le principal capital dont nous disposons en tant que banques centrales est la confiance. Les citoyens comptent sur nous pour assurer la stabilité de la monnaie. Pour conserver cette confiance, il est particulièrement important que la politique monétaire se concentre sur l’objectif de la stabilité des prix. C’est pourquoi les banques centrales devraient préserver leur indépendance et interpréter leur mandat de manière étroite.

Une interprétation étroite du mandat et un large regard sur les défis de notre époque ne sont toutefois pas en contradiction. Au contraire : le fait d’accorder une plus grande importance aux aspects climatiques, par exemple, fait partie d’une politique monétaire axée sur la stabilité.

D’une part, le changement climatique et la politique climatique influent également sur l’inflation et la croissance. D’autre part, nous devons, en tant que banque centrale, protéger notre bilan. C’est pourquoi, à l’avenir, nous devrions encore davantage tenir compte des risques financiers liés au changement climatique et à la politique climatique dans la mise en œuvre de la politique monétaire. Par exemple dans la valorisation d’actifs déposés par les banques en tant que garanties ou lors de l’achat de titres. Pour cela, nous avons besoin entre autres de meilleures informations, que nous devrions également exiger. Si l'Eurosystème assure de cette manière davantage de transparence sur les marchés, il contribue par ailleurs à un système financier plus « vert ».

Sans aucun doute, le système financier jouera un rôle essentiel dans la transition vers une économie durable. En effet, cette transformation nécessitera d’importants investissements supplémentaires. D’importantes sommes doivent donc être mobilisées. Mais les jalons décisifs vers une neutralité climatique doivent toutefois être posés par les gouvernements et les parlements. Ce sont eux qui décident des mesures politiques concrètes, notamment la détermination du prix des émissions de gaz à effet de serre, de la coordination internationale et de l’équilibre social.

Le changement climatique met également en évidence les intérêts et besoins justifiés des générations futures. Les charges ne doivent pas être imposées uniquement aux jeunes citoyens.

L’équité intergénérationnelle implique aussi que nous léguions à nos enfants un État moderne et capable d’agir. Un tel État a besoin d’une marge de manœuvre budgétaire suffisante afin de pouvoir efficacement faire face également aux crises futures. C’est pourquoi les finances publiques doivent être placées sur des bases solides en période de conjoncture favorable. La solidité constitue la base de la stabilisation en périodes défavorables.

De plus, des finances publiques saines sont une protection essentielle pour la politique monétaire commune. Il s’agit là d’une conviction de base de la Bundesbank. Donner parfois des conseils critiques fait, par conséquent, partie du cahier des charges de chaque président de la Bundesbank. Il est élémentaire que la politique monétaire ne soit pas contrainte d’assurer la solvabilité des États. Dans la discussion sur la réforme des règles budgétaires européennes, un aspect en particulier est donc d’importance primordiale : des ratios d’endettement élevés doivent être réduits de manière fiable.

4.2 Banques et stabilité financière

La pandémie de coronavirus a montré à quel point un État capable d'agir financièrement est important. Des dommages économiques majeurs ont pu être évités grâce à des mesures rapides, amples et responsables de la politique budgétaire. Cela a également protégé le secteur financier en Allemagne contre des pertes. Cette évolution ne devrait cependant pas être simplement poursuivie dans le futur. À l’avenir, des risques de crédit pourraient de nouveau s’amplifier.

Comme présenté par la Bundesbank dans son rapport sur la stabilité financière, les vulnérabilités cycliques ont encore augmenté dans le système financier allemand. Ainsi par exemple, les risques liés à des actifs et des garanties de crédit surévalués ont crû. Cela concerne surtout le marché de l’immobilier résidentiel. Et d’autres vulnérabilités continuent de progresser dans le système financier allemand, par exemple sous forme de risques de variation des taux d’intérêt. D’une manière générale, il est temps maintenant de se prémunir afin que le système financier puisse remplir ses fonctions sans problèmes même en cas d’évolutions imprévues.

Par ailleurs, les risques climatiques déjà mentionnés doivent être davantage pris en compte. Notre travail de surveillance portera certainement encore plus sur la manière dont les banques gèrent ces risques.

La numérisation apporte d’autres tâches difficiles pour les banques. Les risques de cybersécurité sont depuis longtemps devenus une menace sérieuse. Et dans le domaine des opérations de paiement, les fintechs et les bigtechs constituent de nouveaux concurrents. 

4.3 L’euro numérique

Les innovations numériques dans les opérations de paiement présentent également un défi pour les banques centrales. Et celles-ci agissent. À l’échelle mondiale, elles se penchent actuellement surtout sur la monnaie numérique de banque centrale.

L'Eurosystème travaille lui aussi avec intensité sur de telles études. L'euro numérique pourrait enrichir le choix de moyens de paiement. Il devrait apporter aux citoyens de la zone euro un avantage supplémentaire évident, par exemple en faisant baisser les coûts ou en proposant de nouveaux services. Et nous devrions bien préparer l’introduction de l’euro numérique – également dans la perspective d’effets potentiels sur le système bancaire et la stabilité financière. Ce qui est important : l’euro numérique ne doit pas remplacer la monnaie fiduciaire, mais la compléter.

Lorsque l'euro numérique sera introduit, un travail d’information sera indispensable. La formation économique est, à l’ère numérique, plus importante que jamais. Les connaissances des citoyens sur les rapports économiques essentiels peuvent également faciliter la tâche des banques centrales d'assurer la stabilité des prix.

5 Perspectives

Mesdames, Messieurs,

Notre travail de formation et notre communication créent un lien entre la politique monétaire et le grand public. De tels liens sont importants. Et en tant que président de la Bundesbank, je voudrais les entretenir afin d’atteindre encore davantage de citoyens.

La Bundesbank et l'Eurosystème sont indépendants de la politique afin d’assurer la stabilité des prix. Mais en contrepartie de son indépendance, la banque centrale doit, dans une démocratie, s’ouvrir au public. Ce n’est qu’ainsi que les citoyens peuvent vérifier si nous remplissons notre mandat et agissons dans les limites du cadre fixé. 

Les citoyens en Allemagne sont aussi en droit d’attendre que la Bundesbank soit une voix audible de la culture de stabilité. Je peux vous assurer qu’elle le restera. Nous apporterons avec confiance notre expertise et nos convictions dans les débats. Promouvoir une position avec engagement ne signifie par ailleurs pas de réfuter le bien-fondé d’autres points de vue.

Je me réjouis de mener des débats fructueux au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE et de coopérer avec toi, Christine. En tant que membre de longue date du Comité des opérations de marché, j’ai toujours apprécié de travailler avec les collègues de l’Eurosystème et ai toujours profité d’une variété d’avis et d’enseignements.

Nous recherchons tous à atteindre notre objectif commun d’assurer la stabilité des prix pour les citoyens de la zone euro.

Je me réjouis également de la coopération future au sein du Directoire et avec les collègues dans l’ensemble de la Bundesbank : dans les succursales, les administrations régionales et au siège. Je suis impatient de retrouver d’anciennes connaissances et de faire connaissance avec de nouveaux collègues. Ensemble, nous pouvons faire bouger les choses.