Changement et continuité Discours tenu à l’occasion de la réception de Nouvel An de la Deutsche Börse

1 Introduction

Cher Joachim Faber,
Cher Theodor Weimer,
Chère Christine,
Mesdames, Messieurs,

Il existe un dicton selon lequel deux fois constitue une répétition, trois fois constitue une tradition. Je suis d’autant plus heureux de pouvoir parler aujourd'hui pour la troisième fois à la réception de Nouvel An de la Deutsche Börse. Je ressens cette soirée toujours comme un temps fort en ce début d’année, et ce rien qu’en raison du cadre impressionnant.

Il est tout aussi réjouissant de retrouver des visages connus.

Mais en découvrir de nouveaux peut également être captivant. Une occasion intéressante se présente à vous si vous deviez revenir ici dans les prochains jours. En effet, la Deutsche Börse expose dans ce hall des photographies de sa collection d’art, sauf quand elle y organise sa réception de Nouvel An.

Vous trouvez quelques-unes des photos là-haut sur la galerie, par exemple les photos d’une série de Christian Borchert. Il fit le portrait de familles à leur domicile, la plupart du temps dans leur salon. Il revint des années plus tard pour reprendre des photos.

Celles-ci montrent comment les personnes changent tout en restant les mêmes. Cela est particulièrement fascinant si on considère à quel point les circonstances de vie des familles ont changé.

En effet, les premières photos ont été prises en RDA, les dernières dans l’Allemagne réunifiée. L’évolution au fil du temps pose sans cesse des défis à nous tous, politiciens, entrepreneurs et aussi banquiers centraux.

Nous venons d’entendre de Joachim Faber comment le changement affecte la stratégie de la Deutsche Börse. Je voudrais ajouter ma perspective en ce qui concerne la stratégie en matière de politique monétaire.

2 Stratégie en matière de politique monétaire

Les citoyens ont besoin d’une monnaie stable pour pouvoir s’épanouir économiquement.

Cela était déjà connu des marchands qui, au Moyen-Âge, venaient à la foire de Francfort pour y négocier des marchandises. À cette fin, ils avaient sur eux différentes pièces. Mais à quel cours pouvaient-ils échanger les pièces ? En 1585, un groupe de marchands invita la ville à fixer les cours. Et la ville alla encore plus loin : elle instaura une assemblée chargée de régulièrement vérifier les cours. Cela marqua le coup d’envoi de la bourse de Francfort.[1]

Plus de 400 ans plus tard, précisément en 1999, la multitude de monnaies européennes fut remplacée par une monnaie commune. L’euro a encore simplifié les échanges à l’intérieur du marché unique. Mais la promesse essentielle de l’euro était et demeure d’assurer la stabilité de la monnaie pour les citoyens de la zone euro.

Par conséquent, la stabilité des prix est l’objectif majeur de la politique monétaire. Le taux d'inflation moyen depuis 1999 se situe en Allemagne même en dessous du taux correspondant à l’époque du deutsche mark. Dans ce domaine, nous pouvons donc nous enorgueillir d’un véritable succès – même si les deux périodes sont difficilement comparables.

Pour que cela perdure, les responsables de la politique monétaire doivent parfois s’arrêter et mettre à l’épreuve leur stratégie. La dernière adaptation de la stratégie en matière de politique monétaire par le Conseil des gouverneurs de la BCE remonte à 2003. Depuis, de nombreuses et profondes évolutions ont eu lieu. Il est temps de tirer les enseignements de politique monétaire – des dernières années marquées par une faible inflation et des taux d’intérêt bas, mais aussi de la crise financière.

2.1 Communication

J’accorde une grande importance à ce que notre politique soit conçue de manière compréhensible et que nous allions à la rencontre des citoyens. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, nous a demandé de ne pas uniquement prêcher nos messages, mais aussi d’écouter.[2] Christine, je soutiens ta demande avec toute ma conviction.

Le philosophe Zenon aurait déjà, dans la Grèce antique, constaté que « la nature ne nous a donné qu'une bouche, quoique nous ayons deux oreilles. Nous devons donc moins parler et davantage écouter. » Mais cela ne signifie pas que nous, les banques centrales, devrions renoncer à communiquer, En effet, la communication est elle-même devenue un important instrument de la politique monétaire.[3] Dans ce contexte, nous nous adressons souvent aux marchés financiers.

De nombreuses études font apparaître que les acteurs des marchés financiers comprennent bien notre politique monétaire.[4] Un exemple est notre « Forward guidance ». Depuis quelques années, le Conseil des gouverneurs de la BCE donne ainsi des indications sur la question de savoir pendant combien de temps il maintiendra encore les taux directeurs à leur très bas niveau – en fonction des données respectives.[5]

De ce fait, nous donnons aux marchés une orientation pour les anticipations de taux, ce qui a une influence sur les taux d’intérêt à long terme. Ainsi, la politique monétaire peut apporter un soutien supplémentaire à l’économie dans la zone euro, même si nos taux directeurs sont déjà très bas. Ce succès est par ailleurs reflété par une étude de la Bundesbank.[6]

Les recherches sur notre communication avec un large public sont, à ce jour, moins avancées. Les études disponibles indiquent que la politique monétaire n’influence guère, de cette manière, les attentes des ménages.[7] Or, leurs attentes en matière d’inflation jouent un rôle important quand il s’agit de changements de prix sur les marchés des biens : lorsque les ménages prennent des décisions concernant leurs achats, les entreprises fixent les prix pour leurs produits ou les employeurs et les syndicats négocient les salaires.

Un accent plus important sur la communication avec la population devrait donc augmenter l’efficacité de la politique monétaire – également par le biais d’une crédibilité accrue[8] et d’une plus grande confiance.

Il y a quelques semaines, Benoît Cœuré rappela dans son dernier discours en tant que membre du Directoire de la BCE cette relation en constatant : « Si la politique monétaire demeure un entretien entre les banques centrales et les marchés financiers, alors nous ne devrions pas être étonnés si les citoyens ne nous font pas confiance. »[9]

Je perçois par ailleurs une deuxième raison essentielle pour améliorer la communication avec la population : la politique monétaire doit rendre compte au public. En effet, des banques centrales indépendantes sont en fait un corps étranger au sein de notre démocratie. Or, les périodes de taux d’inflation élevés ont montré que des banques centrales indépendantes étaient mieux en mesure de garantir la valeur de la monnaie. C’est la raison pour laquelle l’indépendance a sciemment été accordée à titre exceptionnel aux banques centrales. Et c’est pourquoi nous avons l’obligation de rendre compte de la manière dont nous nous acquittons de ce mandat spécial.

Comme je l'ai déjà dit : Un premier pas sur le chemin vers une communication plus efficace consiste à mieux écouter et à mieux observer. Le physicien et écrivain Georg Christoph Lichtenberg prononça un jour les paroles suivantes : « Personne ne connaît les gens aussi bien que les mendiants, les confesseurs et les banquiers ». Jusqu'à présent, cette phrase ne semble pas vraiment s’appliquer aux banquiers centraux.

La Bundesbank a donc réalisé l’an passé une étude pilote basée sur Internet concernant les attentes des ménages en Allemagne. Les résultats sont encourageants. Il en ressort que les anticipations d’inflation en Allemagne sont largement en accord avec notre objectif de politique monétaire.[10] Les données ne confirment pas non plus des craintes selon lesquelles les anticipations d’inflation des ménages pourraient éventuellement se détériorer ou se désancrer.

Vous vous souvenez certainement que plus d’un responsable de la politique monétaire en a été préoccupé au cours des dernières années. Et elle joua un rôle dans la motivation de certaines décisions de politique monétaire.

L’étude peut nous aider à mieux comprendre la manière dont les ménages constituent et adaptent leurs attentes. La Bundesbank a par conséquent décidé d’interroger à l’avenir chaque mois des ménages sur leurs attentes.

Un deuxième pas consiste à communiquer de manière plus compréhensible. Chaque texte à un certain degré de difficulté et pose ainsi des exigences au lecteur. Plus un texte est difficile, moins les lecteurs sont en mesure de le comprendre et moins important est le nombre de personnes que le texte peut atteindre.

Andrew Haldane, l’économiste en chef de la Banque d'Angleterre, s’est penché plus en détail sur cette question.[11] Malheureusement, une publication typique de sa banque centrale n’est pas compréhensible que pour 10 % des adultes britanniques. Les journaux atteignent tout de même 30 %, les romans de Charles Dickens 40 %. Les chansons de Elvis Presley sont comprises par 60 % des adultes américains. Et les discours de campagne électorale de Donald Trump atteignent même 70 %. Cela devrait expliquer – du moins en partie – sa popularité.

Pour la Bundesbank, un langage compréhensible est également important. Nous avons observé que de nombreux citoyens rencontrent des difficultés avec des termes techniques qui sont chose courante pour nous, banquiers centraux, tels que « acteurs des marchés financiers », « stabilité financière » ou « politique monétaire ».

Si nous voulons atteindre les citoyens, nous devons nous efforcer à employer un langage clair et compréhensible. Vous pourrez me dire plus tard dans quelle mesure j’y suis parvenu aujourd'hui. Compte tenu de la thématique, cela représenterait déjà un succès de se rapprocher de Charles Dickens en matière de compréhensibilité.

2.2 Définition de l’objectif de politique monétaire

Mais nous ne parlerons pas uniquement de communication au Conseil des gouverneurs de la BCE. Je voudrais d’abord souligner trois autres thèmes : la définition de l’objectif de politique monétaire, la mesure de l’inflation et les outils de la politique monétaire.

Si nous voulons que notre politique monétaire soit compréhensible, nous devons commencer par notre mandat : la stabilité des prix.

Jusqu'à présent, nous définissons la stabilité des prix en tant que taux d'inflation annuels compris entre zéro et 2 %. Dans le cadre de cette définition, le Conseil des gouverneurs de la BCE a pour objectif des taux d'inflation dans la zone euro inférieurs à, mais proche de 2 % à moyen terme. Cela crée un écart avec les taux nuls et donc avec le danger d’une déflation, c’est-à-dire des reculs des prix sensibles, sur une large base et se renforçant eux-mêmes.

Mais même de nombreux experts ne connaissent pas la distinction entre la définition de la stabilité des prix et notre objectif politique plus concret. Elle est difficilement explicable aux citoyens. Dans ce domaine, il me semble important de rendre notre stratégie plus compréhensible.

Mais différents experts proposent non seulement de rendre la formulation de nos objectifs plus compréhensible, mais aussi de relever le taux d'inflation visé.

La baisse à long terme des taux d'intérêt réels est souvent invoquée comme justification.[12] Le niveau plus bas des taux réduirait, selon ces experts, la marge de manœuvre des banques centrales pour abaisser les taux directeurs en cas de faibles perspectives en matière de prix, puisqu’elles atteindraient alors plus tôt leur limite.

Le niveau des taux d’intérêt nominaux serait plus élevé et la marge de manœuvre en matière de politique de taux serait de nouveau plus importante si les banques centrales recherchaient des taux d'inflation plus élevés et si les anticipations d’inflation augmentaient – tel est l’argument.

Des anticipations d’inflation plus élevées pourraient avoir encore un autre effet que certains sembleraient souhaiter aujourd’hui : en effet, si les taux d’intérêt nominaux demeuraient à un bas niveau dans un premier temps, les taux d’intérêt réels baisseraient à court terme et relanceraient ainsi l’économie.

Il existe certes différents avis en ce qui concerne les études relatives au recul à long terme des taux d'intérêt réels et leurs conclusions pour la politique monétaire.[13] À première vue, il semblerait approprié que les banques centrales augmentent fortement leur objectif de taux d'inflation, et ce dans la même mesure où les taux d’intérêt réels ont baissé. La politique en matière de taux d’intérêt pourrait ainsi regagner une marge de manœuvre qu’elle avait perdue auparavant.

Mais cela n’est pas aussi facile ! J’ai déjà plus tôt fait part de mes doutes en ce qui concerne une forte hausse du taux d’inflation visé. Je voudrais relever trois raisons.

Premièrement : le gain en capacité d’action pourrait être plus réduit que souhaité.[14] Il est en effet probable que les entreprises adaptent leur formation des prix. Si les entreprises réfléchissaient à augmenter les prix de leurs produits, ils attacheraient probablement une plus grande importance aux anticipations d’inflation, puisque ce sont elles qui sont déterminantes en raison de la forte hausse. Le poids de la demande actuelle serait donc moindre. Mais l’inflation ne dépendrait alors plus autant de l’évolution de la demande. La politique en matière de taux d’intérêt devrait fournir davantage d’efforts pour influencer l’inflation. La marge de manœuvre concernant les taux d’intérêt serait plus grande, mais l’effet d’une mesure individuelle serait réduit.

Deuxièmement : en cas de forte hausse de l’objectif, le danger d’un désencrage de l’inflation pourrait s’accroître. Cela peut être démontré en théorie. L’ancien chef de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, l’a particulièrement bien illustré : « Si nous augmentions à 4 % et le communiquions en conséquence, nous perdrions une grande partie […] de notre crédibilité durement acquise puisque les gens penseraient : s’ils augmentent à 4 %, pourquoi ne monteraient-ils pas jusqu’à 6 % ? Il serait difficile de fixer les attentes à 4 %. »[15]  

Troisièmement : une inflation plus élevée entraîne des coûts pour les citoyens. Elle cache les signaux émanant des prix et déforme ainsi des décisions concernant par exemple des investissements ou la consommation. De plus : l’inflation pèse surtout sur les membres les plus faibles de notre société, puisqu’ils peuvent moins se protéger contre l’inflation.

Mesdames, Messieurs,

Je pense que nous devrions formuler notre objectif de politique monétaire de manière à ce qu’il soit compréhensible, axé sur le futur et réaliste.

« Compréhensible » signifie pour moi deux choses à la fois : que les citoyens comprennent la définition et l’utilité de notre objectif.

« Axé sur le futur » signifie que nous devrions assurer la stabilité des prix à moyen terme, donc en portant notre vue sur le futur. En effet, la politique monétaire ne peut que difficilement influencer l’évolution des prix. Nos mesures n’exercent leur plein effet qu’avec un certain retard. Les processus d'adaptation économique s’étendent parfois sur une période prolongée. Et la vue sur le futur ancre les perspectives d’inflation.

« Réaliste » signifie : notre formulation ne devrait pas créer des illusions auprès des citoyens. Nous devrions contrecarrer l’impression et l’exigence que nous puissions régler l’inflation jusqu’aux chiffres après la virgule. Or, nous ne le pouvons pas !

La même chose vaut pour l’horizon temporel. Nous ne devrions pas fixer au trimestre près la date jusqu’à laquelle nous voulons atteindre notre objectif. Il est important que nous restions flexibles – comme cela est déjà le cas avec notre orientation à moyen terme.

Une définition de notre objectif réaliste et axée sur le futur permet à la politique monétaire d’attendre lorsqu’il y a de bonnes raisons pour cela et de ne pas réagir avec précipitation à chaque changement des données. Ou comme vient de le dire Joachim Faber : « Il convient de toujours être actif sans toutefois jamais être actionniste. »

Une définition de notre objectif réaliste et axée sur le futur permet par ailleurs de tenir compte également des risques à plus long terme pesant sur la stabilité des prix. Et tel est précisément l’enseignement à tirer de la crise. Elle nous a montré de manière douloureuse comment des distorsions sur les marchés financiers peuvent finalement se propager à l'économie et à la stabilité des prix.

Pour Paul Volcker, ce point constituait un enseignement essentiel. L’ancien chef de la Réserve fédérale américaine est malheureusement décédé en décembre. Nombreux sont ceux qui en gardent le souvenir de celui qui a vaincu l’inflation débordante des années 1970 aux États-Unis. Dans ses mémoires, il nous a laissé l’évaluation suivante : « La déflation est une menace déclenchée par l’effondrement du système financier. Une faible croissance et des récessions répétées sans distorsions dans le système financier […] ne représentaient pas un risque comparable. Le véritable danger est d’alimenter ou d’accidentellement tolérer une hausse de l’inflation ou de ses proches parents, la spéculation extrême et la prise de risques – donc de se tenir à l’écart, alors que des bulles et des excès menacent les marchés financiers. »[16]

Pour moi, Paul Volcker tape en plein dans le mille : les banques centrales ne doivent pas oublier qu’une politique monétaire laxiste prolongée peut contribuer à la création de déséquilibres dans le système financier qui peuvent, à la longue, menacer la stabilité des prix.

2.3 Mesure de l’inflation

Nous devrions cependant également nous poser la question de savoir si notre valeur cible, le taux d'inflation, est jusqu'à présent correctement mesuré. La politique monétaire se base sur l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) pour la zone euro. En principe, celui-ci remplit au mieux les exigences envers une mesure de la stabilité monétaire dans la zone euro, par exemple en ce qui concerne l’étendue de la collecte ou la comparabilité en Europe.

L’IPCH contient également les loyers. Mais de nombreux citoyens vivent dans leur propre appartement ou maison. Les logements occupés par leur propriétaire ne sont toutefois pas pris en compte dans le panier de l’IPCH. Il est pourtant indéniable qu’il devrait inclure cette composante. Elle est intégrée dans de nombreux indices nationaux des prix à la consommation et a une certaine importance – avec un poids par exemple de 24 % aux États-Unis ou tout de même de 10 % en Allemagne.

Son intégration peut donc avoir des incidences sur la hauteur du taux d'inflation mesuré. Des experts de la BCE ont calculé que dans le passé une telle composante aurait influencé le taux total de jusqu’à 0,2 point de pourcentage dans certains trimestres.[17] Mais je pense qu’à long terme, le taux de l’IPCH ne varierait que faiblement.

Les raisons pour l’absence dans l’IPCH des logements occupés par leur propriétaire sont plutôt de nature technique et méthodologique. Pour moi, l’une ou l’autre concession en ce qui concerne la méthodologie serait acceptable si nous nous rapprochions ainsi de la réalité quotidienne des citoyens.

Nous pourrions alors mieux répondre à notre mandat d’assurer la stabilité des prix dans la zone euro

2.4 Instruments de la politique monétaire

Mais pour cela nous avons aussi besoin des outils appropriés.

Au cours des dernières années, nous avons vu que la politique traditionnelle en matière de taux d’intérêt pouvait toucher à ses limites. Nous avons donc besoin d’autres instruments dans notre boîte à outils pour répondre à de telles circonstances particulières. Les instruments de politique monétaire devraient remplir deux critères.[18]

D’abord – et surtout – son efficacité concernant notre objectif est essentielle. Nous devrions donc toujours vérifier si notre boîte à outils contient les moyens appropriés.

Ensuite, les mesures doivent atteindre l'objectif avec le moins d’effets secondaires possibles. Mais en particulier les mesures extraordinaires des dernières années ont modifié le rapport coût-efficacité.

À mon avis, nous devrions respecter un ordre clair dans l’utilisation des instruments. Je vous ai déjà parlé du succès de notre Forward guidance. Quand nos taux directeurs sont déjà très bas, nous devrions tout d’abord envisager une telle communication avant de recourir à des mesures plus rigoureuses.[19]

Comme vous le savez, je vois surtout d’un œil critique les achats importants de titres d'emprunt publics dans la zone euro. Je considère qu’ils devraient être un instrument d’urgence, étant donné qu’ils entraînent le danger d’effacer la frontière entière la politique monétaire et la politique budgétaire. Cela peut, en fin de compte, menacer l’indépendance de la politique monétaire et donc la capacité de la banque centrale d’assurer la stabilité des prix.

La pression sur la politique monétaire était déjà à l’ordre du jour lorsque j’ai parlé pour la première fois il y a huit ans à la réception de Nouvel An de la Deutsche Börse. J’observe avec inquiétude comment la discussion s’est déplacée depuis. Certains estiment que la politique monétaire devrait s’accorder avec la politique budgétaire. Aux États-Unis, la « Modern Monetary Theory » revendique même ouvertement que la politique monétaire se soumette à la politique budgétaire et finance l’État. Les dangers d’inflation sont rejetés.

Mais l’histoire nous enseigne autre chose et c’est pourquoi l'objectif prioritaire de la stabilité des prix, l’indépendance des banques centrales et l’interdiction du financement monétaire des États sont inscrits dans les Traités européens.

2.5 Autres aspects

Nous sommes bien armés avec ce cadre législatif. En même temps, des nouvelles évolutions ont une influence sur la façon dont nous pouvons remplir notre mandat. Comment les nouvelles technologies changent-elles par exemple l’efficacité de la politique monétaire ? Comment le changement climatique influence-t-il notre capacité à assurer la stabilité des prix ?

Surtout le changement climatique constitue un des défis les plus urgents de nos temps. Toutes les institutions publiques et privées devraient maintenant agir dans le cadre de leur mandat respectif afin de les vaincre.[20] C’est ce que Christine Lagarde a souligné – et à mon avis à juste titre. Toutefois, en ce qui concerne cette tâche qui touche l’ensemble de l’humanité, les efforts incombent surtout à la politique démocratiquement légitimée.

3 Conclusion

Mais le Conseil des gouverneurs de la BCE ne doit pas uniquement revoir sa stratégie. Nous devons aussi réfléchir à la question de savoir comment la sortie de la politique monétaire laxiste peut réussir. L'amalgame croissant entre la politique monétaire et la politique budgétaire, les risques croissants pour la stabilité financière et une accoutumance générale à l’argent peu cher font de la normalisation de la politique monétaire un défi de plus en plus grand.

Le regard vers l’avant et la disponibilité à moderniser ne sont pas uniquement importants pour la politique monétaire, mais aussi pour les marchés financiers. Au 18e siècle, Francfort devint une place financière de rang international, et ce grâce au négoce alors nouveau avec des titres d'emprunt publics. Mais les banquiers de la place de Francfort ont longtemps rejeté les actions, raison pour laquelle la ville a perdu au 19e siècle en importance par rapport à Berlin.

Des opportunités se présentent aujourd'hui par exemple avec le financement du changement vert dans l'économie. Et en matière de technologie, la Deutsche Börse a le doigt sur le pouls. Notamment la blockchain promet d’améliorer la réalisation des transactions financières.[21]

La Deutsche Börse et la Bundesbank ont développé et testé ensemble un prototype pour le règlement de titres. À cette fin, il s’est avéré comme étant un outil approprié.[22] Le projet de recherche a toutefois aussi fait apparaître qu’une nouvelle technologie n’était pas toujours supérieure aux systèmes existants. En effet, la technologie décentralisée est en principe un peu plus lente et plus chère, mais présente d’autres avantages. Son utilisation nécessite donc une analyse du rapport coût-efficacité détaillée. 

Mesdames, Messieurs,

Cela vaut la peine de regarder de plus près les portraits de famille de Christian Borchert que j’ai évoqués au début. Il a toujours photographié avec le même appareil, la même distance focale et toujours au format paysage.

Il a ainsi fourni un cadre au changement. Et celui qui cherche des ruptures sur les photos pourrait être surpris : il pourrait découvrir « davantage de continuités que de ruptures »[23].

Les Traités européens définissent un cadre réglementaire précis pour la politique monétaire. Au centre se trouvent les citoyens et la promesse qui leur a été faite – la promesse d’assurer la stabilité des prix dans la zone euro.

Je vous souhaite une excellente année 2020 pleine de succès.

Je vous remercie de votre attention !

Notes de bas de page:

  1. Holtfrerich, C.-L. (1999), Finanzplatz Frankfurt – Von der mittelalterlichen Messestadt zum europäischen Bankenzentrum, Éditions C.H.Beck, Munich.
  2. Banque centrale européenne (2019), transcription de la conférence de presse
  3. Weidmann, J. (2018), Communication des banques centrales, un instrument de politique monétaire, Deutsche Bundesbank, discours du 2 mai 2018.
  4. Blinder, A. S., M. Ehrmann, M. Fratzscher, J. D. Haan et D.-J. Jansen (2008), Central bank communication and monetary policy: A survey of theory and evidence, Journal of Economic Literature, vol. 46, p. 910-945.
  5. Deutsche Bundesbank (2013), „Forward Guidance“ – Orientierung über die zukünftige Ausrichtung der Geldpolitik, Rapport mensuel, août 2013, p. 31-33.
  6. Geiger, F. et F. Schupp, (2018), With a little help from my friends: Survey-based derivation of euro area short rate expectations at the effective lower bound, document de discussion de la Deutsche Bundesbank, n° 27/2018.
  7. Coibion, O., Y. Gorodnichenko, S. Kumar et M. Pedemonte, (2018), Inflation expectations as a policy tool?, NBER Working Paper, n° 24788.
  8. Coibion, O., Y. Gorodnichenko et M. Weber (2019), Monetary policy communications and their effects on household inflation expectations, NBER Working Paper, n° 25482.
  9. Cœuré, B. (2019), Monetary policy: lifting the veil of effectiveness, Banque centrale européenne, discours du 18 décembre 2019 (propre traduction).
  10. Deutsche Bundesbank (2019), Zur Bedeutung von Erwartungsbefragungen für die Deutsche Bundesbank, Rapport mensuel, décembre 2019, p. 55-74.
  11. Haldane, A. G. (2017), A Little More Conversation – A Little Less Action, Bank of England, discours du 31 mars 2017. Une étude ultérieure plus détaillée a été publiée par Bholat, D., N. Broughton, J. Ter Meer et E. Walczak (2019), Enhancing central bank communications using simple and relatable information, Journal of Monetary Economics, vol. 108, p. 1-15.
  12. Deutsche Bundesbank (2017), „Zur Entwicklung des natürlichen Zinses “, Rapport mensuel, octobre 2017, p. 29-44.
  13. Weidmann, J. (2018), Assurer la stabilité – les défis de l’environnement de taux bas, Deutsche Bundesbank, discours du 20 novembre 2018.
  14. Deutsche Bundesbank (2018), Zinsuntergrenze, angestrebte Inflationsrate und die Verankerung von Inflationserwartungen, Rapport mensuel, juin 2018, p. 31-52.
  15. Bernanke, B. S. (2010), Testimony before the Joint Economic Committee of Congress, 14 avril 2010 (propre traduction).
  16. Volcker, P. A. (2018), Keeping at it: The quest for sound money and good government, PublicAffairs, New York, p. 227 (propre traduction).
  17. Banque centrale européenne (2016), Évaluation de l’impact des coûts du logement sur la hausse de l’IPCH, Bulletin économique, décembre 2016, p. 51-55.
  18. Weidmann, J. (2018), De l’extraordinaire à la normale – réflexions sur les futurs instruments de politique monétaire, Deutsche Bundesbank, discours du 16 novembre 2018.
  19. Weidmann, J. (2019), Ce que nous réserve le futur – avantages et limites de la forward guidance, Deutsche Bundesbank, discours du 22 novembre 2019.
  20. Parlement européen (2019), Projet de rapport sur la recommandation du Conseil concernant la nomination de la présidente de la Banque centrale européenne, Commission des affaires économiques et monétaires, 29 août 2019.
  21. Deutsche Bundesbank (2019), Krypto-Token im Zahlungsverkehr und in der Wertpapierabwicklung, Rapport mensuel, juillet 2019, p. 39-60.
  22. Deutsche Bundesbank (2019), BLOCKBASTER, Rapport mensuel, juillet 2019, p. 52.
  23. Lehmstedt, M. (2017), „Diese Bilder sind Futter für die Fantasie“, DIE ZEIT, Interview de Gabriel Kords du 21 avril 2017.